À Raymond Jean

Raymond Jean est mort
et le Président n’en a pas dit un mot

Quand j’ai croisé Raymond Jean, je n’étais personne et aujourd’hui, je ne suis toujours personne mais j’ai croisé Raymond Jean qui m’a offert son amitié et son soutien d’écrivain. Je me souviens encore de mon étonnement de voir un grand écrivain comme lui si accessible, si ouvert aux autres et encore capable d’émerveillement, quoique souvent angoissé. Il m’a beaucoup aidé: il m’avait présenté Hubert Nyssen, il relisait mes manuscrits (je lui donnais toujours mes manuscrits en même temps qu’à Hubert), il ne suivait pas seulement mon actualité mais celle de tous ces écrivains qu’il avait connu à leurs débuts comme René Frégni, Henri-Frédéric Blanc, Dominique Resch.

Raymond, tout le monde le connaissait. Où qu’on aille sur la planète, il y a toujours quelqu’un qui dit: j’étais un étudiant de Raymond Jean.

Nous avions nos mercredis littéraires à Aix, en compagnie de son ami Alain Borel. Il avait peur de la routine mais insistait toujours pour déjeuner dans le petit restaurant de la Méjanes. Nous bavardions plus que nous discutions, nous nous tenions au courant, nous étions de vraies concierges, toujours à l’affut d’une bonne histoire dans les milieux littéraires ou d’une info curieuse que nous transformions tout de suite en matière poétique/littéraire. Il se sentait porté par la poésie, parlait de ses amis poètes, Guillevic, René Char. D’ailleurs Hubert m’interrogeait chaque fois que j’avais vu Raymond: où en est-il avec sa biographie? Il attendait avec impatience de tout savoir sur ces grands hommes qu’avait connu Raymond. On défaisait les mots, on les construisait autrement. On se disputait sur Philippe Sollers pour qui il avait de l’admiration. On revenait sans cesse à l’idée d’auto-lecture et de ces livres qu’on oublie, sujet qu’il le passionnait.

L’évolution du monde éditorial en simple entreprise commerciale, le succès des livres sans contenu réel l’inquiétaient. Il se voulait indifférent mais il n’arrivait pas à l’être. Je le vois quitter la table, cela m’agaçait souvent, j’avais fait de la route pour déjeuner avec lui et voilà qu’il quittait la table, impatient, toujours impatient pour sortir fumer une cigarette en faisant les cent pas, que ce soit dans son jardin ou dans la cour de la Méjanes. Son impatience perçait dans ses nouvelles (il faut écrire des textes courts, brefs), dans sa manière de dialoguer, il ne s’arrêtait jamais lourdement dans une discussion, pas d’enlisement, pas de dogmatisme pour lui, il bondissait, passait avec légèreté d’une idée à une autre, des pirouettes poétiques (librement, sans contrainte, dans une sorte d’improvisation libre. Un goût de ludique, de l’érotique, comme il le disait dans Le livre et le mot), il sautillait d’un titre à un autre, des titres qu’il ramassait dans la rue, partout où il allait pour les tourner et retourner encore dans sa bouche et s’en servir comme point de départ pour des nouvelles. Il adorait les anecdotes, glanées dans des chroniques diverses et il me surprenait souvent par ses synthèses, encore la forme brève.

Il me parlait souvent de George, sa femme, une vraie intellectuelle (il lui arrivait d’être jaloux quand je discutait trop avec George), de ses enfants, Rémi (la politique, le Brésil), Marion (l'écriture, la peinture), Sylvie (la foi). Contemporain de son époque, il s’interrogeait sans cesse sur notre temps, soulevait ici et là des questions qui me montraient à chaque fois à quel point il comprenait bien notre monde avec ses «progrès» insensés. Étant un homme de son temps, il me disait: laisse tomber les subjonctifs, on ne les utilise plus, c’est vieillot, sers-toi de l’imparfait. Il était de son temps mais pas convaincu de l’informatique, on avait beau lui vanter les merveilles de l’ordinateur, il s’accrochait à sa vieille machine à écrire.

Une seule fois il m’a montré son bureau à Gargas. Jamais je n’ai vu de bureau d’écrivain aussi bien dégagé (il n’y avait pratiquement pas de livres) et je trouve que ça lui correspondait. Son bureau avait une légèreté qui faisait du bien… Je m’étais dit que les mots avaient de la place pour batifoler.

Tout pour lui était matière littéraire et il était toujours en phase d’écriture. Nos balades étaient des jeux d’écriture, des textes, des romans qui s’étalaient devant nous. Il me disait : si tu écris une page par jour, tu as un roman par an. Il faut écrire tous les jours.

Il avait sa propre vision de la vitesse: même sur l’autoroute, il maintenait sa version de la vitesse et je dois avouer que j’étais heureuse de m’en sortir vivante. Jamais blasé, ni aigri, il s’intéressait à des petites maisons d’éditions et n’hésitait pas à leur donner des nouvelles ou des entretiens qu’il affectionnait particulièrement. Il aimait tellement la controverse et ne reculait pas devant l’idée de faire un entretien avec lui-même comme il l’a fait dans Le livre et le mot. Ça lui permettait en même temps de travailler/partager avec un écrivain qu’il aimait bien, comme Jean Lacouture.

Je crois bien que Raymond est celui que j’ai le plus aimé accompagner dans des débats. Après avoir salué l’intervenant, il trouvait en général une place dans le fond de la salle, écoutait pendant 10-15 minutes puis il se levait et on partait déambuler dans les rues.

C’était mon Raymond et je songe à lui, qui se lève, les manches retroussées, la clope au coin de la bouche et qui sort fumer sa cigarette, en attendant que je le rejoigne pour qu’on fasse le point…

TEXTE DE L'UNE DE SES PETITS-ENFANTS

Pépé
Après Les deux printemps, aujourd’hui c’est le troisième.
Tu es parti dans les Transports, tu as pris La ligne 12 direction La fontaine obscure.
Tu salueras pour nous La lectrice, L’attachée, Gabrielle, cette Femme attentive, Bella B et surtout L et G.
De là haut, tu dois être fier d’assister à cette Conférence qui te rend hommage.
N’oublie pas tes Lunettes, porte les bien pour nous voir, pour voir Les ruines de New York, pour voir une Rivière nue et enfin pour voir cette Sauterelle bleue, qui sait ça existe peut-être au Paradis.

PAULINE JEAN