Passer le pont

Il me regarde et leur dit de ne pas me tuer complètement.

LE MOT DE L'ÉDITEUR

Implacable et déroutante plongée dans la misère humaine,
Passer le pont décortique avec force et compassion
la capacité de résistance d'une femme sous influence,
à ne pas se laisser totalement dépossédée
de sa propre existence.

Avec un souci de vérité qui fait le talent de ce récit-confession, Pia Petersen met à nu l’existence désemparée d’une jeune femme qui va sombrer dans la plus grande marginalité en basculant sous l’influence
quasi hypnotique d’un homme étrange et manipulateur.
Licenciée de son travail à l’instigation de ses collègues, Kara, humiliée, isolée, va devenir
en croyant tout quitter de sa détresse, la victime consentante d’un jeu pervers de sujétion mentale,
orchestré par un certain Nathan.
Passer le pont est la chronique de cette descente aux enfers, à travers laquelle la narratrice nous dit
son cheminement irrésistible vers la dépossession de soi et l’enfermement dans une existence vide,
toujours plus en retrait du monde. Clochardisée, allant jusqu’à faire la manche, voler les pourboires
sur les tables des cafés, mentir pour récolter de l’argent, Kara ne semble, en effet, plus survivre
parmi les membres de cette petite communauté qu’au service de Nathan.
Et pourtant, jamais elle ne cédera aux avances de ce mentor et à toutes les épreuves sexuelles
et pornographiques qui jalonnent son soi disant enseignement. Parce qu’elle possède encore
cette résistance chevillée au corps, Kara va pouvoir un jour se décider à fuir.
Pour autant son esprit en aura-t-il fini avec cette fascination impérieuse lorsque, plus tard, elle reverra Nathan…
Avec une infinie pudeur où s’illustrent, étroitement mêlées, la candeur et la lucidité de Kara,
Pia Petersen nous décrit dans ses moindres vacillements l’équilibre précaire d’une existence
qui doute d’elle-même et de sa valeur au point de se perdre complètement de vue.
Sobre et directe, cette voix fait résonner la gravité et la fragilité de notre condition. Ce drame psychologique
sur la perte de l’identité livre ainsi un hommage intime à la résistance des faibles et des modestes
face aux puissants de nos sociétés. C’est aussi, une subtile et déroutante démonstration de la lutte intestine
qui oppose, au fond de notre désir de reconnaissance, l’esprit de liberté au goût pour la servitude.

PATRICE DELBOURG, L'Obs

Toutes les facettes du désarroi de Kara, femme manipulée, assujettie à Nathan, précepteur de pacotille, minable gourou de secours.
Terrible plongée dans les entrailles de la machine à décerveler. La secte dans tous ses ébats. Le processus de captation d’identité est ici décortiqué comme un bigorneau. Au drayoir. Une littérature grattée à l’os dans les marges désemparées de la solitude urbaine...
L’auteur est fille d’Hamlet. Il y a décidément quelque chose de magique au royaume du Danemark.

JACQUES LOVICHI, La Marseillaise

Kroniques

Quand je regardais son visage là-bas, je me disais que je devais m'en aller, que je devais trouver une solution mais je n'en trouvais pas, j'étais curieusement piégée, comme si en réalité il n'y avait pas d'autres possibilités. On pense souvent ça, qu'on a pas d'autres possibilités, que les dés sont définitivement jetés. Reprendre possession de sa vie et de ses choix n'est pas une affaire simple. On pense qu'on ne peut pas le faire et il y a toujours des raisons pour maintenir cette idée, coûte que coûte. Mais j'avais encore une espèce de colère qui bougeait en moi, faiblement, au loin. Mon instinct de survie agissait et il dépendait de ça, que je ne vive pas avec lui. Rester avec lui était mourir mais je ne pouvais pas le reconnaître, pas directement et je m'en voulais de penser de cette manière. Pourtant la colère m'a poussée à partir.