Pia Petersen est la seule romancière danoise qui, à ma connaissance, écrive et publie directement ses oeuvres en français. Nous nous connaissons depuis maintenant plus de vingt ans. Comme d’habitude, elle est venue terminer son prochain livre dans ma ville, Los Angeles. Nous nous sommes donné rendez-vous à South Pasadena, dans la fameuse vallée de San Gabriel. Plusieurs films ont tiré parti des décors variées de cette banlieue de Los Angeles: Halloween ou Retour vers le futur, entre autres. Nous avons choisi comme lieu de rencontre le Kaldi Coffee &Tea, un café d’El Centro Street qu’elle fréquente dès qu’elle est en Californie.
J’ai bravé les embouteillages de l’autoroute 110 pour y arriver, mais le plaisir de revoir ma meilleure amie m’a fait oublier ce désagrément dont les Angelinos se plaignent sans pour autant accepter de réduire le nombre de voitures par famille. Pia écrit d’ordinaire à la terrasse de ce café. Le propriétaire des lieux la connait maintenant. Il l’installe dans un coin, lui apporte son verre de vin blanc, une carafe d’eau, et ne la dérange plus. En me proposant de la retrouver là, au risque de couper l’élan de son inspiration, elle enfreignait quelque peu sa règle: ne pas inviter qui que ce soit sur son lieu de travail. Mais voilà, je suis son meilleur ami. Elle m’a parfois hébergé à Marseille, et je lui ai toujours ouvert ma porte à Los Angeles quand elle ne souhaitait pas s’isoler du côté de South Pasadena.
Lorsque je la retrouve au café, je vois à sa mine que quelque chose lui est arrivé. Sans doute de mauvaises nouvelles qu’elle a reçues de Paris, me dis-je. Je lui demande ce qui ne va pas. Elle me fait signe de m’asseoir d’abord et de commander à boire. Je prends un chocolat au lait au lait d’amande et une gaufre.
Elle m’apprend qu’elle a pris le train pour venir au Kaldi Coffee & Tea et qu’il lui est arrivé un pépin qui continu à la bouleverser. Un africain-Américain a fait irruption dans le compartiment, la cigarette vissée entre les lèvres, et s’est assis près d’elle. Elle n’a pas bougé de son siège comme les deux hommes noirs en face d’elle, qui se sont aussitôt repliés vers le fond du wagon.
L’homme toussait sans arrêt comme s’il allait régurgiter ses poumons.
En ces temps de pandémie, cela avait suffit pour que la plupart des passagers s’éloignent de son périmètre. Un courageux lui a néanmoins fait signe de mettre un masque. L’homme a prétexté qu’il n’en avait pas. Un bon samaritain lui en a proposé un, le clochard a rétorqué qu’il envoyait paître le gouvernement américain, l’accusant d’avoir imaginé cette pandémie pour vendre des tests Covid et surveiller les mouvements des individus.
C’est alors que Pia s’est levée, et au moment où elle s’orientait vers le groupe qui s’était écarté de l’homme, elle a entendu sa voix derrière elle: Espèce de raciste!
Il était hors de lui, l’insultait, la menaçait de la pousser hors du train qui venait d’arriver à destination. Elle a sauté sur le quai et couru sans se retourner jusqu’à notre point de rencontre…
J’essaie de la consoler, de lui expliquer que c’est un cas isolé.
Quand j’y pense, je me dis que cet homme avait plusieurs possibilités pour comprendre l’attitude de Pia: la fumée de la cigarette, le fait qu’il ne portait pas de masque, les toussotements répétés. Il s’est égaré en préférant emprunter l’itinéraire le plus rapide, celui du racisme…