Collapse

Je l’attends depuis longtemps. À cause de lui je suis en confinement et je le guette.
Il rôde quelque part autour de moi, peut-être déjà en moi, il est libre et il circule rapidement et attaque quand il peut. Je l’attends depuis si longtemps et maintenant il est là, le semeur de chaos qui, en quelques jours, a ravagé la planète avec sa réalité incontrôlable et pour le moment indomptable. J’ai de l’admiration pour lui.
Si petit et si puissant.

Je regarde l’esplanade par ma fenêtre, où les gens d’habitude font du sport, jouent au foot, où les enfants font peur aux chiens avec leur trottinette, où des gens âgés profitent d’un moment de bavardage sur un banc. L’esplanade est vide, totalement et implacablement vide. Le ciel est gris et ne fait rien pour nous rassurer. Le ciel s’en fiche de nous. Il est, c’est tout. Ou peut-être qu’il a une conscience, qui sait.

Je regarde ce vide et je pense à ces milliards de personnes en confinement, à ces millions en Inde qui marchent sur les routes pour rentrer au village pour ne pas mourir de faim. Mes yeux rivés sur l’esplanade vide je pense à comment on en est arrivé là. Par l’oeuvre de l’arrogance et de la mesquinerie sans doute et je me dis que le virus a bien fait de débarquer comme ça, à l’improviste. Peut-être, finalement, que c’est lui qui va nous sauver de notre inhumanité, ou de cette déshumanisation que nous avons causée, que nous avons construite à la manière d’une cathédrale et qui nous surplombe froidement.

J’entends des voix émaner de partout, des plaintes, des gémissements, des voix qui ne cessent d’émettre des opinions, des craintes, des angoisses, des émotions. Les voix de la panique et de la fatalité qui disent que ce serait mieux pour la planète si nous disparaissions tous. Sans homme, plus de pollution, les arbres et les fleurs et les animaux pourraient vivre en toute quiétude dans une nature gentille et généreuse.

J’essaie de ne pas faire d’humour, j’évite de passer au deuxième ou troisième degré, j’essaie de me taire, je me censure. Pourquoi? Je ne veux déranger ou vexer ou blesser qui que ce soit. Ou plutôt, je ne le voulais pas. Cette réflexion appartient au passé. Mon présent me dit d’y aller, de déranger, vexer, blesser, de filer des baffes, de casser des gueules, de tuer la connerie par rafales. Je veux, oui, je veux que les mots deviennent à nouveaux des balles qui explosent à la face du monde parce que j’ai des désirs d’une civilisation humaine, que je veux vivre et je suis prête à tirer dans le tas.

Je suis en confinement près de Paris, à Vincennes. Je n’ai pas fui la mégapole, voyageant avec le virus dans mes bagages, pour me confiner dans une villa en bord de mer. Je n’ai pas l’intention d’écrire mes émotions quant à ce virus qui attaque et qui tue. Je suis restée chez moi et je sais que je suis privilégiée parce que moi, je suis confinée. Mais là dehors, des millions de gens qui ne le sont pas. Non-confinés et non-protégés, ils vont travailler tous les jours pour que moi, qui suis derrière ma fenêtre, je puisse manger à ma faim, me laver parce que j’ai de l’eau, m’informer parce que j’ai de l’électricité. Eux sont confinés seulement quand ils rentrent du boulot, un virus en plus dans leurs poumons, après avoir chopé ce truc qui vient d’ailleurs, un virus mondial, on appelle ça une pandémie. Eux, ils vont payer la note d’un système économique subitement en faillite.
La colère gronde.
Un virus chinois, souligne inlassablement Donald Trump, le président des États-Unis. Une petite phrase qui risque de faire bien plus de morts et de mal que le Coronavirus. Une petite phrase qui incite à tant de haine. Une petite phrase si commode quand on a besoin de trouver un coupable.
Le virus s’impose comme un problème politique, économique, philosophique, littéraire.

Je l’attends depuis si longtemps, ce moment chaotique, non pas parce que je le désirais, ou que je m’imagine qu’après, de l’autre côté, le monde serait beau et juste et parfait.
Non. Je l’ai attendu parce qu’il était inévitable. Il allait forcément arriver mais sous quelle forme, voilà la question que je me suis posée depuis toute petite.
Sous quelle forme? Quelle métaphore allait être son véhicule?

Le chaos, ce moment où tout entre en collision pour s’écrouler ou exploser, a pris la forme d’un virus et il nous donne généreusement un cadeau que nous n’avons pas forcément mérité. Il nous offre un moment pour penser, pour analyser le monde avec son système économique qui nous trimballe depuis si longtemps en dépit du bon sens. Il nous offre la possibilité de réparer nos erreurs et de faire en sorte que l’avenir soit un avenir que nous désirons. Sans passer par la table rase pour ensuite vivre dans une barbarie obscurantiste pendant des siècles au cours desquels nous allons tout faire pour récupérer la société que nous avons laissé mourir, la société de providence et une liberté d’être, on a la possibilité de s’interroger et de poser notre humanité et notre société comme des valeurs indispensables et libérées de l’obsession du manque à gagner.

Ce petit virus a su, en l’espace de quelques jours, faire vaciller la société telle que l’homme l’a inventée. On n’a pas créé la nature, on n’a pas créé le virus mais on a créé la société pour nous défendre contre la nature, tellement plus forte que nous et qui, en un clin d’oeil, a démoli l’économie. Mais on ne cesse de penser, preuve de notre profonde amnésie, que la nature est gentille et protectrice, qu’elle nous veut du bien et on persiste à se tromper de problème. Qu’on n’oublie pas que le virus aussi est naturel. L'uranium est naturel. Le requin est naturel. La mort est naturelle. L’homme est naturel, en quelque sorte.
On vit maintenant dans une espèce d’autoritarisme sanitaire qui risque de durer, verrouillé par la technologie et qui s’appuie sur le principe de précaution pour faire passer la surveillance accrue et une société régie par les algorithmes. Seulement au lieu de résoudre le problème du monde à venir puisque le système économique nous a prouvé qu’il doit être impérativement rectifié, maintenant qu’on en a la possibilité, on s’abrite derrière l’idée que la nature serait tellement florissante le jour où nous ne seront plus là.

Qui veut mourir aujourd’hui? Vous voulez mourir?
Je ne veux pas mourir. Je n’ai aucune envie de céder la planète aux fleurs, ni aux arbres, ni aux hommes politiques, ni aux plans économiques.
Qu’il ne soit pas dit que je n’aime pas la nature. Je co-habite avec elle et j’aime les animaux à la folie et je me battrai toujours pour leur survie et les défendrai à tout jamais contre l’ambition débilitante de l’homme mais qu’est-ce que j’en ai à faire d’une planète vidée de ses humains? Je ne serais pas là pour contempler cette nature qui pourrait pousser en toute insouciance. Personne ne serait là pour contempler la nature désormais heureuse.
L’incroyable arrogance de l’homme s’incarne dans idée de dieu qui, quoi qu’il arrive, serait là, certes à distance mais là en tant que spectateur. L’homme rêve d’une planète heureuse, il rêve d’Eden mais la condition de l’Eden est malgré tout la disparition de l’homme. Mais s’il n’y a plus d’hommes, qui bénéficiera de l’Eden?
La planète et la nature existent parce que nous, les hommes, existons. On fait exister la nature parce qu’on en a conscience, on la crée parce qu’on la pense, elle est là parce qu’on la nomme. Mais que la planète existe pour nous parce que nous la pensons ne veut pas dire que nous la créons, qu’on ne se trompe pas. La nature existe sans nous, indépendamment. Nous ne sommes pas la raison de son être.
Seulement, sans nous, la planète et la nature n’ont aucun sens et n’ont aucun intérêt…pour nous… S’occuper des vrais problèmes, l’homme et sa relation à l’argent quel qu’en soit le degré et le chômage permanent qui se profile, c’est aussi s’occuper de notre place dans la nature.

Je veux vivre et je décide de faire barrage, ou poser des barrières non seulement contre le coronavirus mais contre le gigantesque élan suicidaire de l’humanité.

Quels que soient les gouvernements, où qu’ils se trouvent sur la planète, ils sont aujourd’hui affaiblis par l’impossibilité de fuir leurs responsabilités, ils doivent affronter les conséquences de leurs choix et de leurs actes et cela est le cadeau que le virus nous offre, un moment unique dans l’histoire du monde où nous pouvons peser de notre masse humaine pour exiger, exiger à voix haute et fermement la société que nous voulons. Un moment comme celui-ci, nous ne l’aurons plus jamais. Si nous le ratons, nous ratons notre avenir en tant que tel.

Tous les jours, 24/24, on entend les mots qui font peur. Récession, dépression, chômage, faillite. Retour du virus. Déconfinement qui sait quand, peut-être jamais…. Les mots ne manquent pas pour nous flinguer. D’abord on lutte contre le virus mais il nous faut aussi lutter contre l’arrogance de l’homme qui pense petit.
Au lieu de penser récession, ou dépression, on peut penser redistribution. On peut penser grand. Pourquoi ne pas penser contre l’arrogance de quelques uns?
La loi sur l’État d’urgence sanitaire, limitée dans le temps, dit-on, remet en cause le code du travail et notre liberté individuelle. Nos déplacements sont encadrés et font l’objet d’une attestation remplie sous peine d’amende, ou en cas de récidive, quelques mois de prison. S’installe, pour le moment, nous dit-on, un système totalitaire. L’État réglemente notre espace et notre vie privée. On accepte passivement, la peur au ventre, le coronavirus est là-dehors, il veut nous tuer. Le reste, on verra après.
Est-ce que cela veut dire que l’humain soit arrivé à son terme? Il n’arrive plus à rien, c’est la décadence, le dinosaure aussi a péri, a disparu, il est préhistorique, comme nous… La société telle qu’on la connait est derrière nous, ainsi va le monde… Amen…
Je ne vois pas pourquoi. D’abord parce que je ne le veux pas, moi, en tant qu’individu. Ensuite parce qu’on peut décider autrement. Le coronavirus a montré qu’on peut, en l’espace de quelques heures, changer la donne. On n’est pas obligé de se suicider ni de tuer la société humaine. Par contre il me semble urgent et vital et essentiel de se poser des questions, et de préférence sans filtre… Des questions urgentes qui viseront à l’essentiel.

Je suis en confinement et j’ai la rage au ventre. Tous les jours je parcours les nouvelles du monde et je suis sidérée de la vitesse avec laquelle les autorités ont fermés les frontières, avec laquelle ils ont paralysés leur pays.

Le confinement est total mais ce n’est pas encore une quarantaine. On n’a plus le droit de sortir de chez soi mais on peut encore bénéficier d’une heure de plein air, on peut faire ses courses. On a même été prévenu du confinement. Du reste, c’est exactement ce qu’ils avaient fait à Wuhan, ce qui avait donné un sérieux coup de pouce à la propagation du virus. Ils avaient averti la population du confinement à venir et les gens s’étaient précipités hors la ville, avec le virus. En France, plus d’un million se sont massés dans les trains et les avions, partageant sans aucune restriction le virus. Et le gouvernement n’est plus responsable de la propagation, comme les mauvaises langues l’avaient suggéré. Il s’est dédouané. Les gens auraient dû rester où ils étaient pour que le virus ne se propage pas. Et l’État, suite à ce grand déplacement mal venu, en profite pour énoncer un état d’urgence sanitaire qui ouvre la voie à un État autoritaire, on va pouvoir réquisitionner ce dont on a besoin. Le recours à la surveillance n’a plus d’opposition, l’État fait ce qu’il veut. L’État dit désormais je et ramasse des millions en contraventions dressées aux citoyens mais il ne réquisitionne pas les multinationales.

Il faut aplanir la courbe, ralentir le virus parce qu’on manque de ventilateurs et de lits d’hôpitaux et de personnel, de masques, de tests. Les malades meurent parce que suite à des décisions politiques, les budgets ont été coupés, des hôpitaux ont été fermés. Il n’y a pas l’équipement nécessaire. Il fallait rentabiliser. Il y avait un manque à gagner.

Mourir faute de matériel c’est mourir d’un manque à gagner.

Depuis bientôt 20 ans, les gouvernements successifs coupent les budgets des hôpitaux, sous couvert de manque de moyens, dans l’esprit de rentabiliser ces services. L’État hésite à faire payer les multinationales qui ne savent plus quoi faire de leur tas d’argent, la spéculation n’est carrément pas taxée, les banques rigolent et les riches préfèrent délocaliser leur argent dans les paradis fiscaux. Les caisses de l’État s’appauvrissent et le pouvoir prend dans les poches de la classe moyenne pour faire tourner la roue sociale. La France porte aujourd’hui sur elle les signes d’un pays en voie de paupérisation, avec ses riches qui s’isolent derrière des murs et qui ne payent toujours rien, qui ne participent absolument pas à la société.

Les TGV, autrefois la fierté de la France, sont tristement célèbres pour leur saleté, des toilettes qui ne fonctionnent pas, pas de savon ni d’eau ni de nettoyage. A l’aéroport de Paris, les effluves de pisse émanent dès qu’on pose les pieds sur le sol français. Les fameux guichets automatiques qui remplacent les gens à la douane ne marchent qu’occasionnellement. Sur cinq guichets, il y en a toujours deux, sinon trois qui sont hors service.
Réduction des budgets, réduction de personnel, ce sont des réductions de vies. Combien sont morts à cause d’un problème de budget?

Dans les années quatre-vingt-dix, la SNCF était sur la voie de la privatisation et le personnel manifestait dans les rues. Fermetures de gares et de lignes non-rentables, suppression de 7300 emplois. Mais les médias ne mentionnaient jamais la vraie raison, le manque à gagner. On arguait que la SNCF était déficitaire mais le déficit était en réalité un manque à gagner qui comptait pour de la perte.
Le manque à gagner est virtuel, hypothétique. Le manque à gagner, c’est ce qu’on aurait pu gagner si on avait fait des efforts. Le manque à gagner, c’est un train supprimé parce que des places sont vides par moment, c’est la suppression d’un lit d’hôpital parce que le lit n’est pas occupé en permanence. Pour résorber le budget, c’est le salaire qu’on peut ne pas payer à un infirmier, à un pompier, à un policier.
Mais quand le lit d’hôpital est occupé en permanence, ça veut dire que ce même lit manquera en cas de nécessité, d’urgence.

Le manque à gagner est devenu une obsession et avec le principe de précaution,
un système absurde voit le jour, un système où l’on a perdu de façon radicale
notre sens des proportions et notre vue d’ensemble.

Le principe de précaution devient obligatoirement et très vite un cercle infernal. Un incident/accident, volontaire ou non, donne lieu à une loi pour tous, dans la plupart des cas une loi qui réduit la liberté personnelle et notre sens personnel de responsabilité. Des exemples, il y en a à foison. Mon chien mord une personne. Le lendemain, une loi tombe. Afin d’éviter à l’avenir ce type d’accident, tous les chiens doivent désormais porter une muselière. Au lieu de punir le maître du chien qui est la cause de l’incident, on punit toute la population des chiens.
Un jour, en prenant le métro avec mes grandes valises, je me suis trouvée devant l’entrée spéciale fermée. J’ai demandé l’ouverture de la porte. On m’a dit pas possible. J’ai demandé pourquoi. On m’a expliqué que des gens trichaient, donc la porte devait rester fermée pour empêcher la fraude. Pour dissuader 5% de tricher, on punit 95% des personnes qui ne trichent pas. C’est la démocratisation de la faute. Je ne suis pas coupable mais je suis responsable des fautes de tous.

Ceux qui chassent le manque à gagner s’appuient sur la structure du principe de précaution. Pour empêcher une personne qui triche, on punit 99 personnes et le principe de précaution devient l’extension d’un système de punition pour tous.

Cette obsession de manque à gagner a gangrené la planète. L’économie, entre les mains de quelques multinationales, ne cesse de traquer le manque à gagner. Un salaire est aujourd’hui considéré comme un manque à gagner. Cela n’est pas dit, pas nommé mais cela est. Pourquoi payer si l’on peut ne pas payer? On n’a qu’à accélérer l’automatisation, ça augmente la rentabilité, il y a moins d’erreurs puis les machines ne se plaignent jamais, elles n’ont pas besoin de pauses, elles n’ont pas mal au dos et ne revendiquent rien. En outre une machine n’est pas sensible aux virus et comme on nous le fait savoir aujourd’hui, il va falloir s’habituer aux virus, au confinement, à la distanciation sociale. Et à la surveillance dans l’intérêt de tous. Parce que le virus, il ne partira plus.

Pour empêcher un vol de trombone, la société installe des mesures de sécurité draconiennes qui pénalisent les voleurs de trombones mais surtout aussi les non-voleurs. La hantise du manque à gagner s’est convertie en une chasse au tricheur, ou petit voleur. Par exemple, au Paraguay, plus de trois cent personnes ont trouvé la mort dans un feu de supermarché. Pourquoi? Parce que les portes avaient été fermées sur ordre du gérant pour éviter un pillage. Les petits voleurs sont ciblés mais sont laissés de côté les grands escrocs, ceux-là même qui profitent pleinement de cette chasse au petit larcin.
L’obsession du manque à gagner est la cause directe du manque de lits qu’on connaît avec le Coronavirus et elle est également la cause de toute une planète qui s’effondre.
Je ne fais pas cas des remarques du genre on ne pouvait pas savoir, c’est le genre de phénomènes qu’on ne peut pas prévoir… Allons donc. On savait et c’est sur fond ironique que j’attire l’attention sur le fait que, quand il est question d’un manque à gagner, le principe de précaution n’est plus du tout considéré, comme ça a été le cas pour les lits des hôpitaux ou les masques ou les tests.

L’idée de manque à gagner, c’est un gain manqué. Le manque à gagner encadre notre perception de la société et influence notre comportement civique. La démocratie ne peut pas fonctionner quand notre comportement n’est qu’une question de gain, elle est avant tout une idée de partage et le manque à gagner exclut tout partage.
Tout doit impérativement rapporter de l’argent, doit impérativement être rentable. Le manque à gagner à tout prix a changé nos comportements et décide de notre lien à l’autre. Il crée une valeur commerciale là où il n’y avait que des valeurs amicales, ou des gestes sans contrepartie. Notre inhumanité y prend racine et c’est de là que plonge et s’anéantit le sens de la démocratie.
Autrefois un copain m’invitait à dormir sur son canapé quand j’étais de passage à Paris. On passait des soirées magnifiques. Aujourd’hui le canapé que j’occupais représente un indéniable manque à gagner. C’est pourtant le même canapé, seulement notre perception du canapé a changé. Aujourd’hui je dois payer pour dormir sur le canapé, sinon le copain perd l’argent qu’il pourrait obtenir avec Airbnb, une start-up de Silicon Valley qui, comme toute la Vallée, a su transformer tout geste en tiroir caisse.
Le geste gratuit, amical, entre amis se trouve étouffé petit à petit par l’obligation et le désir du gain et tout peut être transformé en gain. C’est de cette manière que l’homme a commencé à se voir en tant qu’élément économique, à se définir à partir de l’économie.

La démocratie, le sens de la démocratie se construit sur l’idée de partage. Ce n’est pas une idéologie mais une organisation pratique qui permet le meilleur fonctionnement possible de la société. La démocratie qui n’est pas seulement une structure ni un simple modèle dépend de notre comportement en société et notre comportement dépend de notre éducation. Seulement aujourd’hui, on vit en démocratie mais à la manière d’un dictateur…

Le service public, l’éducation, le système de santé, se sont trouvés diminués parce qu’on considère que tout doit être rentable, même ce qui n’est pas supposé rapporter de l’argent. Or, la santé publique accessible à tous n’a jamais été un don des riches aux pauvres. Non, c’est un système collectif qui a été mis en place pour pouvoir empêcher un virus de se transformer en pandémie. Le calcul est simple. Si tous participent, rien qu’un peu, le coût de la santé publique diminue. Seulement les paradis fiscaux et la chasse au manque à gagner ont eu raison de la santé publique en tant que service public puisque les riches ne partagent plus, ne participent plus, ne payent plus d’impôts. Faute de participation, ceux qui n’ont pas de compte au Bahamas doivent payer d’avantage pour que le système continue à fonctionner pour tous, y compris ceux qui ont leur compte en banque au Panama ou d’autres paradis fiscaux. La liste des endroits où l’on échappe aux impôts se modifie selon les scandales mais la liste existe toujours.

Le service public fonctionne maintenant comme une entreprise qui ne peut se permettre le moindre vide, le moindre vol de trombone, le moindre manque à gagner. Tout doit être rentable, même la perte. On coupe les budgets. Tout ce qui ne rapporte pas de fric est éliminé.
Et vient le moment où il faut faire des coupes pour que le système survive, pour ne pas oublier que certains se demandent si le système est nécessaire. Le coronavirus a sans doute sauvé la santé publique.

Aujourd’hui je suis en confinement parce qu’il n’y a pas suffisamment de lits disponibles et que les gens meurent faute de soin, de matériel, de personnel. On me dit qu’il faut aplanir la courbe. D’une certaine manière, je suis en train de réparer la faute des ultra riches et des choix politiques en sacrifiant mon temps de vie, un temps de vie que je ne peux pas acheter au supermarché, que je ne pourrai jamais récupérer. Mon temps de vie représente pour moi la valeur absolue, il est singulier, irremplaçable et ne peut être remboursé.

Ceux qui pratiquent le manque à gagner comme un chiffre réel doivent répondre de leurs actes. Ils doivent payer la note. Il est temps que la colère monte et que ceux qui détruisent la planète et déshumanisent la société par leur comportement avide à la folie paient pour leur crime. Parce que c’est un crime, qu’on ne s’y trompe pas.

Des gens qui ne respectent pas le confinement risquent une peine de prison. C’est l’état d’urgence sanitaire, un état d’exception qui autorise le gouvernement à limiter la liberté pour tous, au nom du bien de tous. Et les ultra riches, qui sont la cause de notre confinement, où sont-ils? Si les hôpitaux avaient les moyens, si on avait de quoi faire des tests et mettre des masques, le confinement ne serait pas aussi total et l’économie ne serait pas en train de rayer les pauvres de la carte des survivants. Pourquoi les riches ne sont-ils jamais vraiment inquiétés?

Je ne peux m’empêcher de penser que le virus est tombé sacrément à propos, au bon moment, du moins pour certains. Rarement un virus a été si ponctuel. Partout sur la planète, les peuples étaient dans les rues, réclamant leur dû. Hong Kong, France, Chili, Inde, Algérie, Iran, Irak, Venezuela, Liban, Soudan, Haiti, Equateur… Maintenant que le virus a pris la parole, les manifestants sont chez eux, en confinement pendant que le virus gambade dehors, libre. L’interdiction de sortir ne le concerne pas.
Le virus est une arme absolue.
Est-ce que les gouvernements vont rendre leurs armes?
Restez chez vous, c’est le confinement, c’est le couvre feu. Ne sortez plus. Ne socialisez plus. Ne manifestez plus.

L’automatisation de la société connait un virage intense, jusqu’au confinement et c’est enfin nommé. Des mots nouveaux sont annonciateurs du monde qui se profile, du monde en cours, un monde qui devient ce qu’il devait devenir mais plus tard. C’est que le virus est une occasion en or, occasion à ne pas rater. Algorithme, télétravail, enseignement par visioconférence, apéro et sex parties sur Zoom et Skype. La mise en quarantaine numérique de la liberté. Ne circulez plus. Restez chez vous. Déjà, en Asie, les citoyens ont opté pour une vie connectée, la distanciation sociale persévère et devient un confinement permanent.

Quand allons nous voter par algorithme, de la maison directement? Ou mieux, l’algorithme qui connait nos profils sur le bout des doigts peut déduire, en analysant notre profil, pour qui nous voterons. Plus besoin de bureau de vote, plus besoin de dépouillement. Une rentabilité augmentée. Un manque à gagner, ce n’est plus un gain manqué.
Restez chez vous. Ne sortez pas. Là dehors, c’est dangereux.
Combien de temps devrons nous rester confinés? On nous dit deux semaines, non, un mois puis il faut compter deux mois au minimum mais ce n’est pas encore fini. Pour que ce soit vraiment fini, il faudrait compter sur dix-huit mois et encore, ce n’est pas encore assez. Quand on a de la chance et que l’on est immunisé, il faut savoir qu’on n’est pas vraiment immunisé.
Vous avez de l’espoir? On va vous casser la gueule. Le virus reviendra en automne puis d’autres virus attendent leur tour.
Le virus attend, tapi dans l’ombre. Il se prépare pour son retour. Ça ne sera jamais fini. On s’habitue à tout. À ne pas sortir quand on le veut. À sortir avec une permission à durée limitée. À garder une distance sociale. À rester chez soi et boire l’apéro sur Zoom. À vivre avec la peur.

Le confinement, faute de vigilance, risque de se structurer et durer dans le temps comme le chômage. Parti d’une crise, le chômage auquel on réfère toujours comme d’un moment de crise, de mauvaise passe à franchir, s’est installé dans la durée. Ça fait 35 ans que nous sommes dans une crise durable que nous appelons le chômage. Il s’est transformé en durabilité, en système, mais qui n’empêche pas que la courbe augmentera aussi vite que la courbe du coronavirus s’aplatit.
Au fil du temps, ce qui était temporaire et provisoire s’est structuré en un état d’urgence permanent, entretenu par la peur. Le coronavirus est arrivé à point nommé. Il nous a cloué au sol, dans l’incapacité à nous prendre en charge nous-même, dans l’impossibilité d’agir, nous obligeant à l’obéissance. Intoxiqués par les politiques et les médias qui nous maintiennent dans un état de choc, lui aussi permanent, nous ne voyons plus le temps passer, nous ne nous rendons pas compte de cette prolongation incessante. On nous maintient dans l’urgence et donc dans une incapacité de véritablement analyser la situation, de l’interroger pour nous battre contre. Car la durabilité est épuisante et ennuyante. La contestation s’essouffle vite, toujours.

Des voix s’élèvent par moment, ici et là, pour protester mais les voix s’épuisent, elles sont réduites au silence par un haussement d’épaule indifférent et docile. Que peut-on faire? C’est comme ça. Ça a toujours été comme ça. Puis ça ne sert à rien d’accuser les gens. Le mal est fait.
Ces gens aux haussement d’épaule las sont aussi ceux qui ordonnent la mise en confinement et qui nous donnent des amendes quand on ne respecte pas le mot d’ordre, ou qui appellent la police pour indiquer que le voisin sort faire un jogging. C’est pour votre bien. On vous sauve la vie.

Qu’on ne s’y trompe pas. Bon nombre d’algorithmes dont se servent les entreprises mais aussi l’État ont été conçus pour nous maintenir dans un état d’urgence. Des multinationales high-tech de Silicon Valley et de Chine nous ont très généreusement donné les algorithmes dont on se sert pour calculer les cas. BlueDot, start-up canadienne, a détecté l’épidémie avec son algorithme avant l’OMS et a lancé l’alerte. Mais ce sont eux aussi qui créent les algorithmes pour déterminer le nombre d’heures qui doivent être effectués pour un salaire calculé au plus juste, qui transmettent un planning à la dernière minute. Tout est prévu pour qu’on ne puisse rien mettre de côté et ne rien prévoir. C’est une forme d’emprisonnement dans le présent qui nous paralyse au sol et quoi qu’on fasse, quels que soient les efforts, on en arrive toujours au même point, pas assez de salaire et pas la possibilité de prévoir correctement le temps dont on dispose. C’est une prison économique et un système de castes qui a été conçu en connaissance de cause et rendu possible par la technologie.

Les algorithmes, l’automatisation de la société peuvent être un vivre mieux mais peuvent aussi représenter un moyen d’oppression. A nous de choisir ce qu’il en adviendra. Parce que ça adviendra.
Ce monde dont nous n’avons pas encore fait le profil, que nous n’avons pas encore véritablement nommé nous tient déjà fermement dans une poigne mortelle.

Et je m’assois et je lis ce qu’écrivent les écrivains sur ce virus, ou sur cette peur qui déferle comme un tsunami et il manque de la colère. Oui, où est passé la colère, les coups de gueule, la résistance à ce qui se passe? Parce qu’il se passe beaucoup de choses, qu’on ne pense pas que l’ordre mondial à venir se repose. On ne cesse de nous montrer des courbes, des courbes faites par des algorithmes… Combien de millions doivent mourir pour sauver quelques personnes du coronavirus? Et qui a conçu l’algorithme qui nous montre ces courbes? Comment peut-on savoir que les marqueurs sont les bons?
Oui, où est passé la colère, l’interrogation?

Qu’apprend-on de ce moment intense de coronavirus? Que le monde peut s’effondrer en quelques jours et qu’on peut changer les données. Que finalement on n’est pas prisonnier du système tel qu’on l’a créé et que, peut-être, il va falloir encadrer l’évolution technologique plus intelligemment. Qu’il faut reprendre le principe de précaution, le penser et lui donner des limites. Se rappeler que le manque à gagner est virtuel et pas réel.

Vous croyez vraiment que vous allez vous en sortir cette fois-ci?

Honte à vous et vos manigances
pour lesquelles nous payons tous le tribut le plus lourd qui soit,
oui, on paye de nos vies.

Vous voulez vous racheter?

Donnez-nous à tous le revenu de base, sans condition, le même pour tous, à chaque être humain,
quel que soit son âge ou sa condition.
La technologie et la spéculation ont largement ce qu’il faut pour le payer,
qu’on ne nous raconte pas de conneries, on ne croit plus un mot de ce que vous dites.

Collapse

Kai-Fu Lee, informaticien, homme d’affaires, écrivain, a développé le premier système de reconnaissance vocale continue au monde. Il a travaillé comme cadre chez Apple, SGI, Microsoft et Google et il était président de Google China. Il s’y connait en technologie, pas de doute. Dans son ouvrage I.A. La plus grande mutation de l’histoire il explique comment les seigneurs de la technologie américaine et chinoise deviennent les leaders mondiaux en matière d’intelligence artificielle et également propriétaires du monde grâce aux données numériques accumulées. Il explique également qu’un chômage permanent dû au remplacement des emplois col blancs par les algorithmes se dessine et devrait se réaliser d’ici 8 ans. 60 % de chômage permanent, dit-il.
Très bien. On le croit sans problème. Sans aucun doute que le coronavirus a donné un coup de pouce à ce projet, voir un coup d’accélérateur. En confinement, on s’habitue à télétravailler, à jongler avec les visioconférences, à commander nos chaussures sur Amazon. La planète s’est subitement réduite à notre logement. La distance sociale devient normale.
Mais après?
Il est urgent de s’inquiéter de ce chômage permanent que vont forcément provoquer les algorithmes. Déjà des juges sont remplacés par des algorithmes. Ils sont plus objectifs, nous disent ceux qui ont tout intérêt à voir l’algorithme prendre de l’ampleur.
L’algorithme, conçu par l’homme, devient lieu de vérité absolue.
L’utilisation des algorithmes influence notre perception du coronavirus. Car pour le moment, on s’appuie exclusivement sur les courbes qui sont des algorithmes, des modèles mathématiques dont personnellement je ne connais pas les marqueurs. Et qui me dit que ces algorithmes ont été vérifiés par des gens compétents? Ils analysent combien de vies seront sauvées par le confinement. Mais ont-ils analysé combien de personnes mourront de faim par la suite? Est-ce que les algorithmes peuvent faire le rapport entre des domaines différents, peuvent-ils voir les liens?

Est-ce que cette panique mondiale qui visiblement a fait un choix de mort est capable de penser l’ensemble de la planète avec ces milliers de façons de mourir? On ne peut mourir que du coronavirus. Combien de gens doivent mourir pour nous sauver du coronavirus? La note risque d’être salée. Mais pourquoi ce choix? Les chiffres officielles disent que si l’on ne fait rien, on devra compter deux millions de morts. En confinement on réduit les pertes à 500000 morts. Mais après? Combien de milliards vont dépérir de manque de nourriture, d’infrastructures, d’accès à la santé? Car l’idée de récession ne prévoit pas forcément un épanouissement ni de la santé publique, ni de l’électricité et de l’eau ou de la nourriture pour tous. Entre la récession promise et un chômage permanent de 60%, il me semble qu’il est temps d’affûter nos exigences.

Cette panique qui fait le tour de la planète s’appuie sur des algorithmes mais semble avoir perdu la notion de penser.
Je ne fais pas confiance aux algorithmes, surtout que les codeurs semblent échapper à tout contrôle et peuvent ajouter les données qu’ils veulent. Puis les hommes qui les utilisent y voient une vérité qui les dédouane de penser par eux-même… Pour ne pas oublier que, pour la plupart, ils ne savent pas ce qu’est, un algorithme, ni comment il fonctionne…

Notre futur et l’économie mondiale seraient entre les mains d’une dizaine de multinationales technologiques qui possèdent les bases de données numériques de la planète et survivent ceux qui savent coder. Les pays qui résistent à ce boom technologique tomberont vite en état de tiers-monde. L’Europe tombera en état de tiers-monde. On a aujourd’hui une idée nette de ce que ça peut donner…
Et après?
Après les gens se battront comme des bêtes pour récupérer les miettes. Les États vont exploser sous la pression et la majorité des citoyens vont sombrer.

A moins que…

Plusieurs seigneurs de la technologie nous parle du revenu du base, entre autre Kai-Fu Lee. Cet argent qu’on peut économiquement parlant donner à tous, et sans condition et sans que cela écorne le compte en banque des seigneurs de la technologie, et bien, ce n’est pas une bonne chose, nous dit-il. Ce n’est pas sain de ne pas travailler. D’après lui, en contrepartie d’un revenu de base, les gens doivent donner quelque chose en échange. Pourquoi pas leur temps de vie? Ils peuvent fournir des services, partager leur amour et tendresse avec des gens qui en ont besoin…
Et quand on ne veut donner ni amour ni tendresse?
Je ne vois pas pourquoi ne pas travailler est moralement répréhensible, surtout que visiblement il n’y a plus de travail. Et puisqu’on peut donner ce revenu de base sans condition, puisque c’est économiquement possible, pourquoi insister sur l’idée d’échange obligatoire? En quoi est-ce pour notre bien? D’ailleurs, ceux qui insistent sur l’importance d’une contrepartie sont précisément ceux à cause de qui nous avons ce problème, ceux qui se sont approprié l’économie mondiale, ou qui sont en train de le faire, grâce au coronavirus.

S’il y a un travail en échange, le revenu de base deviendrait simplement un salaire, tellement revu à la baisse que cela relèverait sans aucune doute de l’ordre de l’esclavage.
Esclavage puisque la notion de choix serait complètement éliminée. Ce serait un nouveau système de castes puisque cela serait prédéterminé, suite aux analyses menées par les algorithmes.

J’insiste tout de même sur le revenu de base sans condition. Les gens disposeront d’une somme d’argent tous les mois et pourront à partir de là faire leurs choix de vies eux mêmes, sans être sous surveillance d’État, encadrés par des lois qui visent à les confiner à vie. Je ne suis pas prête à accepter l’esclavage. Et on peut me crier dessus, me dire que je véhicule le mal, on peut essayer de me faire taire, je m’en fiche. Maintenant est le bon moment pour exiger un revenu de base sans condition ni contrepartie. Je crois même que c’est la seule chose qui puisse nous sauver d’un désastre économique.

Mais si l’idée du revenu de base revient régulièrement dans le débat économique et politique, elle est chaque fois chassée à coup de pied. Les arguments changent de camp. D’abord signalée comme une idée d’extrême-gauche, elle est aujourd’hui sous tutelle des libertarians, des anarchistes d’extrême-droite, tendance Ayn Rand. Certains pontes de Silicon Valley, comme Peter Thiel, fondateur de PayPal, entre autre, et libertarian, soutiennent le revenu de base. Ils veulent le distribuer pour se débarrasser des gens, pour qu’ils puissent se partager le gâteau mondial en toute tranquillité, dit-on. Leurs intentions sont mauvaises. Le revenu de base ne serait pas un geste qui libérerait des milliards de chômeurs de leur destin de prisonniers du système économique et leur donnerait une vraie liberté de choix mais une camisole pour chaque individu qui les empêcherait de bouger même d’un centimètre.
Je le lis et je suis prise d’une colère monumentale et j’ai l’impression de devenir un volcan prêt à exploser. J’oublie même le coronavirus, le confinement, l’effondrement du monde. La mention du libertarian est le nouvel argument qui sert à éloigner les gens de l’idée de ce revenu. Qui voudrait bénéficier d’un revenu minimum en pensant qu’il émane de l’extrême-droite? Cela veut forcément dire que l’idée est mauvaise et que ceux qui défendent cette idée sont des personnes non-fréquentables. L’idée est balayée.
Thomas More, Jean Louis Vivès, Thomas Paine, Voltaire, John Stuart Mill, Condorcet, Bertrand Russell, John Locke rigoleraient sans doute à entendre une bêtise pareille. Martin Luther King trouverait sans problème une remarque cinglante. Il avait défendu cette idée lors de la marche sur Washington. Nombreux philosophes dans le temps ont défendu cette idée. Donc, que Kai-Fu Lee et ceux qui se servent de cet argument pour nous réduire en esclavage aillent se faire foutre. L’argent nous suffit.

Je n’en peux plus de ces voix qui disent que nos vies vont changer mais que ce sera difficile, faute de moyens, qu’il faut faire le dos rond et accepter ce confinement comme une possibilité de vie futur.
Parce que c’est de cela qu’il s’agit, non?
De saisir l’opportunité de ce virus et nous introduire dans ce qui sera la société de demain, un confinement pour la majorité pendant que les ultra-riches batifolent sur une planète enfin débarrassée de ces hommes de trop qui ne sont ni plus ni moins qu’un manque à gagner. Si nous ne pouvons les tuer, nous pouvons au moins les enfermer…

Je ne tiens pas à faire de la poésie, ni de belles phrases. Je n’en ai cure qu’on ne m’aime pas, ou qu’on trouve dérangeant ma manière d’assener des coups de phrases. J’irrite? Tant mieux. J’énerve? Tant mieux.
Jouer au jeu formel de l’écriture m’agace. Je lis des textes sur le confinement, sur ce que devient le monde et ça manque de colère. La littérature est abonnée à la peur et dans la peur elle se regarde et apprécie ses tours de phrases. Comme le dit mon ami écrivain Nicolas Idier avec Arundhati Roy, une langue qui ne traduit plus d’idée n’est qu’une langue morte. Qu’on en finisse avec cette littérature tiède qui nous explique tous les matins du fond d’un jacuzzi que la littérature ne doit pas transmettre de message, que la littérature ne doit pas s’enrichir avec les idées. À ceux-là, je n’ai rien à dire. Ce n’est qu’une bande de feignants qui laisse s’estomper le peu de cervelle qu’ils avaient au début de leurs tentatives d’écriture. Ne jugez plus la littérature, de grâce, ne nous dites plus ce qu’elle ne peut pas faire. Restez confinés dans vos jacuzzi, dans vos salons littéraires et bavardez entre vous. Que la langue revienne à la vie et qu’on prenne à nouveau la parole parce que maintenant, ça suffit, la langue morte.

J’écris parce que l’écriture façonne le monde, elle donne forme aux idées, elle provoque l’imaginaire, elle bouleverse les idées reçues et elle permet aux douteurs de penser un peu plus loin. Une langue se doit d’être vivante, de vibrer au rythme du monde, de regarder ce monde pour le comprendre, pour le penser, pour l’interroger.
L’écriture permet de voir, permet de nommer ce qui est mais qui n’est pas encore visible, qui n’a pas encore de forme. Sans écriture, sans langue il ne peut y avoir de société.

Je suis confinée et tous les jours je regarde le nombre de morts. Y a-t-il assez de cadavres pour que mon confinement soit justifié?
La rage au ventre j’écoute les discours des politiques qui minaudent des mea-culpa, les discours des spécialistes de ceci et de cela, j’entends parler les algorithmes, je regarde les courbes et je n’en peux plus d’écouter ces mots qui s’écoulent comme de l’eau sale.

Rendez-moi le monde, rendez-moi ma vie. Je ne veux pas mourir à cause de vos mauvais choix. Je ne supporte pas de voir encore ces petits salariés qui continuent à travailler sur le front, qui se savent chair à canon et qui à nouveau doivent sauver le monde de vous, les riches, de vous les politiques.