Dog story

Texte paru dans Images nomades, photographies Patrick Devresse

Je suis épuisé et me suis allongé contre un mur pour me reposer
mais ne t’inquiète pas, je dors un peu et après, je repartirai à ta recherche,
je suis déterminé
et le clochard qui est assis contre le mur et qui m’a balancé un morceau de pain ne pourra pas
me faire changer d’avis,
il a avancé la main pour me toucher
mais j’ai juste mangé le pain, ça fait du bien, surtout que je n’ai pas mangé depuis qu’on est parti
pour ne pas perdre ta trace
mais ce n’est pas de ta faute,
tu m’avais oublié, ça arrive
et j’ai à peine regardé le clochard, j’ai gardé mes distances et pourtant il a l’air bien,
ils t’ont abandonné, pas vrai ? il a dit mais je ne sais pas de quoi il parle,
on n’abandonne pas les chiens, c’est ce que tu avais dit un jour à un ami
et c’est sûr que tu ne m’as pas abandonné, jamais tu me ferais ça,
non, la vérité,
c’est que tu ne m’as pas vu,
tu t’es arrêté, tu m’as dit de descendre puis, pendant que je reniflais un arbre, tu es remonté en voiture
et tu es parti mais sans moi,
avec toute la famille mais sans moi
et pourtant je suis moi aussi de ta famille, j'ai aboyé mais vous ne m’aviez pas entendu, vous regardiez tous de l’autre côté alors j’ai couru avec la voiture, aboyant encore plus fort pour attirer votre attention, j’ai même essayé de sauter pour que vous m'aperceviez par la fenêtre
mais tu ne m’as pas vu et les autres non plus
et j’avais pourtant aboyé pour que tu me dises où l’on allait,
que tu me donnes un indice,
je pouvais te suivre en courant et si tu avais regardé dans ton rétroviseur, tu m'aurais vu mais tu allais trop vite,
il faut ralentir un peu sinon je ne vais pas y arriver,
je fais tout ce que je peux mais la voiture s’éloigne et j’augmente la cadence mais je ne cours pas assez vite, j’essaye de garder la même vitesse en surveillant les autres voitures sur l’autoroute, c’est difficile et je sens que ma langue pend de ma gueule et j’ai soif
mais ne t’inquiète pas,
on va quand même passer les vacances ensemble,
on est une famille, je suis à toi, c’est ce que tu dis en parlant de moi, que je suis ton chien et ton ami
et pour toi j’utiliserai mon flair pour te retrouver et nous serons ensemble à nouveau,
je me repose juste un peu pour récupérer,
pas longtemps,
juste un peu
pour avoir plus de forces,
c’est qu’il y a beaucoup d’odeurs sales, de bruits, j’ai du mal à respirer derrière les voitures
mais ce n’est pas grave,
ne t’inquiète pas pour moi,
je vais bien,
je vais repartir dans deux minutes, je sens que mes pattes continuent à bouger,
tu ne me vois pas encore mais tout à l’heure je te rejoindrai et si tu me voyais,
tu serais fier de me voir me lever pour courir encore,
pour te suivre,
seulement je n’arrive plus à me lever et c’est peut-être mieux que tu ne sois pas là pour voir ma faiblesse, c’est mieux comme ça,
tu vois que je ne t’en veux pas,
tu avais sûrement un problème
et de toute façon, d’ici quelques jours, quand je serai à nouveau debout, je te retrouverai parce que nous sommes amis, nous sommes une famille, c’est ce que tu m’as toujours dit
et le clochard qui s’est levé pour me regarder de plus près a pris ma tête et il me caresse,
il me dit de drôles de trucs comme quoi je ne dois pas avoir peur, que je serai mieux
au paradis des chiens,
toi aussi tu m’avais parlé de ce truc,
le paradis,
tu avais dit que c’était là où l’on allait quand on n’en pouvait plus,
tu avais dit que c’était pour les gens bien
mais je ne connais pas cet endroit,
je ne veux pas aller là-bas,
tout ce que je veux, c’est te retrouver et je fais encore une tentative et le clochard me dit de ne plus bouger, que c’est fini mais je ne comprends pas de quoi il parle,
tu verras, je te retrouverai…