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Je l’attends depuis longtemps. À cause de lui je suis en confinement et je le guette.
Il rôde quelque part autour de moi, peut-être déjà en moi, il est libre et il circule rapidement et attaque quand il peut. Je l’attends depuis si longtemps et maintenant il est là, le semeur de chaos qui, en quelques jours, a ravagé la planète avec sa réalité incontrôlable et pour le moment indomptable. J’ai de l’admiration pour lui.
Si petit et si puissant.

Je regarde l’esplanade par ma fenêtre, où les gens d’habitude font du sport, jouent au foot, où les enfants font peur aux chiens avec leur trottinette, où des gens âgés profitent d’un moment de bavardage sur un banc. L’esplanade est vide, totalement et implacablement vide. Le ciel est gris et ne fait rien pour nous rassurer. Le ciel s’en fiche de nous. Il est, c’est tout. Ou peut-être qu’il a une conscience, qui sait.

Je regarde ce vide et je pense à ces milliards de personnes en confinement, à ces millions en Inde qui marchent sur les routes pour rentrer au village pour ne pas mourir de faim. Mes yeux rivés sur l’esplanade vide je pense à comment on en est arrivé là. Par l’œuvre de l’arrogance et de la mesquinerie sans doute et je me dis que le virus a bien fait de débarquer comme ça, à l’improviste.
Peut-être, finalement, que c’est lui qui va nous sauver de notre inhumanité, ou de cette déshumanisation que nous avons causée, que nous avons construite à la manière d’une cathédrale et qui nous surplombe froidement.

Je suis en confinement près de Paris, à Vincennes. Je n’ai pas fui la mégapole, voyageant avec le virus dans mes bagages, pour me confiner dans une villa en bord de mer. Je n’ai pas l’intention d’écrire mes émotions quant à ce virus qui attaque et qui tue. Je suis restée chez moi et je sais que je suis privilégiée parce que moi, je suis confinée. Mais là dehors, des millions de gens qui ne le sont pas. Non-confinés et non-protégés, ils vont travailler tous les jours pour que moi, qui suis derrière ma fenêtre, je puisse manger à ma faim, me laver parce que j’ai de l’eau, m’informer parce que j’ai de l’électricité. Eux sont confinés seulement quand ils rentrent du boulot, un virus en plus dans leurs poumons, après avoir chopé ce truc qui vient d’ailleurs, un virus mondial, on appelle ça une pandémie. Eux, ils vont payer la note d’un système économique subitement en faillite.

La colère gronde et le virus s’impose comme un problème politique, économique, philosophique, littéraire.

Je l’attends depuis si longtemps, ce moment chaotique, non pas parce que je le désirais, ou que je m’imagine qu’après, de l’autre côté, le monde serait beau et juste et parfait.
Non. Je l’ai attendu parce qu’il était inévitable. Il allait forcément arriver mais sous quelle forme, voilà la question que je me suis posée depuis toute petite.
Sous quelle forme? Quelle métaphore allait être son véhicule?

Quels que soient les gouvernements, où qu’ils se trouvent sur la planète, ils sont aujourd’hui affaiblis par l’impossibilité de fuir leurs responsabilités, il doivent aujourd’hui affronter les conséquences de leurs choix et de leurs actes et cela est le cadeau que le virus nous offre, un moment unique dans l’histoire du monde où nous pouvons peser de notre masse humaine pour exiger, exiger à voix haute et fermement la société que nous voulons. Un moment comme celui-ci, nous ne l’aurons plus jamais. Si nous le ratons, nous ratons notre avenir en tant que tel.

On vit maintenant dans une espèce de totalitarisme sanitaire qui risque de durer, verrouillé par la technologie et qui s’appuie sur le principe de précaution pour faire passer la surveillance accrue et une société régie par les algorithmes.

La loi sur l’état d’urgence sanitaire, limitée dans le temps, dit-on, remet en cause le code du travail et notre liberté individuelle. L’État réglemente notre espace et notre vie privée. On accepte passivement, la peur au ventre, le coronavirus est là-dehors, il veut nous tuer. Le reste, on verra après.

Le coronavirus a montré qu’on peut, en l’espace de quelques heures, changer la donne. Il me semble urgent et vital et essentiel de se poser des questions, et de préférence sans filtre… Des questions urgentes qui viseront à l’essentiel.

Je suis en confinement et j’ai la rage au ventre. Tous les jours je parcours les nouvelles du monde et je suis sidérée de la vitesse avec laquelle les autorités ont fermés les frontières, avec laquelle ils ont paralysés leur pays.

Il faut aplanir la courbe, ralentir le virus parce qu’on manque de réanimateurs et de lits d’hôpitaux et de personnel, de masques, de tests. Les patients meurent parce que suite à des décisions politiques, les budgets ont été coupés, des hôpitaux ont été fermés. Il n’y a pas l’équipement nécessaire. Il fallait rentabiliser. Il y avait un manque à gagner.

Mourir faute de matériel c’est mourir d’un manque à gagner.

Depuis bientôt vingt ans, les gouvernements successifs coupent les budgets des hôpitaux pour rentabiliser, pour ne pas faire payer les multinationales qui ne savent plus quoi faire de leur argent, la spéculation n’est pas taxée, les banques rigolent et les riches délocalisent leur argent dans les paradis fiscaux. Les caisses de l’État s’appauvrissent et le pouvoir prend dans les poches de la classe moyenne pour faire tourner la roue sociale. La France porte aujourd’hui sur elle les signes d’un pays en voie de paupérisation, avec ses riches qui s’isolent derrière des murs.
Réduction des budgets, réduction de personnel, ce sont des réductions de vies. Combien sont morts à cause d’un problème de budget?

Le manque à gagner est devenu une obsession et avec le principe de précaution,
un système absurde voit le jour, un système où l’on a perdu de façon radicale
notre sens des proportions et notre vue d’ensemble.

Le service public fonctionne maintenant comme une entreprise qui ne peut se permettre le moindre vide, le moindre vol de trombone, le moindre manque à gagner. Tout doit être rentable, même la perte. On coupe les budgets. Tout ce qui ne rapporte pas de fric est éliminé.

Et vient le moment où il faut faire des coupes pour que le système survive, pour ne pas oublier que certains se demandent si le système est nécessaire. Le coronavirus a sans doute sauvé la santé publique.

Ceux qui pratiquent le manque à gagner comme un chiffre réel doivent répondre de leurs actes et payer la note. Il est temps que la colère monte et que ceux qui détruisent la planète et déshumanisent la société par leur comportement avide à la folie paient pour leur crime. Parce que c’est un crime, qu’on ne s’y trompe pas.

Je ne peux m’empêcher de penser que le virus est tombé à propos. Partout sur la planète, les peuples étaient dans les rues, réclamant leur dû. Hong Kong, France, Chili, Inde, Algérie, Iran, Irak, Venezuela, Liban, Soudan, Haïti, Équateur… Maintenant que le virus a pris la parole, les manifestants sont chez eux, en confinement pendant que le virus gambade dehors, libre. L’interdiction de sortir ne le concerne pas.
Le virus est une arme absolue.
Est-ce que les gouvernements vont rendre leurs armes?
Restez chez vous, c’est le confinement, c’est le couvre feu. Ne sortez plus. Ne socialisez plus.

L’automatisation de la société est enfin nommée. Des mots nouveaux sont annonciateurs du monde qui se profile, du monde en cours, un monde qui devient ce qu’il devait devenir mais plus tard. Le virus est une occasion en or, à ne pas rater. Algorithme, télétravail, enseignement par visioconférence, apéro et sex parties sur Zoom et Skype. La mise en quarantaine numérique de la liberté. Ne circulez plus. Restez chez vous. En Asie, les citoyens ont opté pour une vie connectée, la distanciation sociale persévère et devient un confinement permanent.
Quand allons nous voter par algorithme, de la maison directement? Ou mieux, l’algorithme qui connait nos profils sur le bout des doigts peut déduire, en analysant notre profil, pour qui nous voterons. Plus besoin de bureau de vote, plus besoin de dépouillement. Une rentabilité augmentée.

Un manque à gagner, ce n’est plus un gain manqué.

Le virus attend, tapi dans l’ombre. Il prépare son retour. Ça ne serait jamais fini. On s’habitue à tout. À ne pas sortir quand on le veut. À sortir avec une permission à durée limitée. À garder une distance sociale. À rester chez soi et boire l’apéro sur Zoom. À vivre avec la peur.

Le confinement, faute de vigilance, risque de se structurer et durer dans le temps comme le chômage. Ce qui était temporaire et provisoire s’est structuré en un état d’urgence permanent, entretenu par la peur. Le coronavirus est arrivé à point nommé. Il nous a cloué au sol, dans l’incapacité à nous prendre en charge nous-même, dans l’impossibilité d’agir, nous obligeant à l’obéissance.

Intoxiqués par les politiques et les médias qui nous maintiennent dans un état de choc, lui aussi permanent, nous ne voyons plus le temps passer, nous ne nous rendons pas compte de cette prolongation incessante. On nous maintient dans l’urgence et donc dans une incapacité de véritablement analyser la situation, de l’interroger pour nous battre contre. Car la durabilité est épuisante et ennuyante. La contestation s’essouffle vite, toujours.

Qu’on ne s’y trompe pas. Bon nombre d’algorithmes dont se servent les entreprises mais aussi l’État ont été conçus pour nous maintenir dans un état d’urgence.
Les algorithmes, l’automatisation de la société peuvent être un vivre mieux mais peuvent aussi représenter un moyen d’oppression. A nous de choisir ce qu’il en adviendra. Parce que ça adviendra.
Ce monde dont nous n’avons pas encore fait le profil, que nous n’avons pas encore véritablement nommé nous tient déjà fermement dans une poigne mortelle.

Et je m’assois et je lis ce qu’écrivent les écrivains sur ce virus. Où est passé la colère, les coups de gueule, la résistance à ce qui se passe? Parce qu’il se passe beaucoup de choses, qu’on ne pense pas que l’ordre mondial à venir se repose. On ne cesse de nous montrer des courbes, des courbes faites par des algorithmes… Combien de millions doivent mourir pour sauver quelques personnes du coronavirus? Et qui a conçu l’algorithme qui nous montre ces courbes? Comment peut-on savoir que les marqueurs sont les bons?
Oui, où est passé la colère, l’interrogation?

Qu’apprend-on de ce moment intense de coronavirus? Que le monde peut s’effondrer en quelques jours et qu’on peut changer les données. Que finalement on n’est pas prisonnier de la technologie et que, peut-être, il va falloir encadrer toute cette évolution plus intelligemment. Qu’il faut reprendre le principe de précaution, le penser et lui donner des limites. Se rappeler que le manque à gagner est virtuel et pas réel.

L’utilisation des algorithmes influence notre perception du coronavirus. Car pour le moment, on s’appuie exclusivement sur les courbes qui sont des algorithmes, des modèles mathématiques dont personnellement je ne connais pas les marqueurs. Et qui me dit que ces algorithmes ont été vérifié par des gens compétents? Ils analysent combien de vies seront sauvées par le confinement. Mais ont-ils analysé combien de personnes mourront de faim par la suite? Est-ce que les algorithmes peuvent faire le rapport entre des domaines différents, peuvent-ils voir les liens? Car l’idée de récession ne prévoit pas forcément un épanouissement ni de la santé publique, ni de l’électricité et de l’eau ou de la nourriture pour tous. Entre la récession promise et un chômage permanent de 60% dont on nous parle parfois, il me semble qu’il est temps d’affûter nos exigences.

Cette panique qui fait le tour de la planète s’appuie sur des algorithmes mais semble avoir perdu la notion de penser. Je ne fais pas confiance aux algorithmes, surtout que les codeurs semblent échapper à tout contrôle et peuvent ajouter les données qu’ils veulent. Puis les hommes qui les utilisent y voient une vérité qui les dédouane de penser par eux-même…

Notre futur et l’économie mondiale serait entre les mains d’une dizaine de multinationales technologiques qui possèdent les bases de données numériques de la planète et survivent ceux qui savent coder. Les pays qui résistent à ce boom technologique tomberont vite en état de tiers-monde. L’Europe tombera en état de tiers-monde. On a aujourd’hui une idée nette de ce que ça peut donner…
Et après?
Après les gens se battront comme des bêtes pour récupérer les miettes. Les États vont exploser sous la pression et la majorité des citoyens vont sombrer.

A moins que…

J’insiste sur le revenu de base sans condition. Je ne suis pas prête à accepter l’esclavage. J’ai le droit au choix. Et on peut me crier dessus, me dire que je véhicule le mal, on peut essayer de me faire taire, je m’en fiche. Maintenant est le bon moment pour exiger un revenu de base sans condition ni contrepartie. Je crois même que c’est la seule chose qui puisse nous sauver d’un désastre économique.

Je n’en peux plus de ces voix qui disent que nos vies vont changer mais que ce sera difficile, faute de moyens, qu’il faut faire le dos rond et accepter ce confinement comme une possibilité de vie futur.
Parce que c’est de cela qu’il s’agit, non?
De saisir l’opportunité de ce virus et nous introduire dans ce qui sera la société de demain, un confinement pour la majorité pendant que les ultra-riches batifolent sur une planète débarrassée de ces hommes de trop qui ne sont ni plus ni moins qu’un manque à gagner. Si nous ne pouvons les tuer, nous pouvons au moins les enfermer…

J’écris parce que l’écriture façonne le monde, elle donne forme aux idées, elle provoque l’imaginaire, elle bouleverse les idées reçues et elle permet aux douteurs de penser un peu plus loin. Une langue se doit d’être vivante, de vibrer au rythme du monde, de regarder ce monde pour le comprendre, pour le penser, pour l’interroger.
L’écriture permet de voir, permet de nommer ce qui est mais qui n’est pas encore visible, qui n’a pas encore de forme. Sans écriture, sans langue il ne peut avoir de société.

Je suis confinée et tous les jours je regarde le nombre de morts. Y a-t-il assez de cadavres pour que mon confinement soit justifié?
La rage au ventre j’écoute les discours des politiques qui minaudent des mea-culpa, les discours des spécialistes de ceci et de cela, j’entends parler les algorithmes, je regarde les courbes et je n’en peux plus d’écouter ces mots qui s’écoulent comme de l’eau sale.

Rendez-moi le monde, rendez-moi ma vie. Je ne veux pas mourir à cause de vos mauvais choix. Je ne supporte plus de voir encore ces salariés qui continuent à travailler sur le front, qui se savent chair à canon et qui à nouveau doivent sauver le monde de vous, les riches, de vous les politiques.

Vous croyez vraiment que vous allez vous en sortir cette fois-ci?

Honte à vous et vos manigances
pour lesquelles nous payons tous le tribut le plus lourd qui soit,
oui, on paye de nos vies.

Vous voulez vous racheter?

Donnez-nous à tous le revenu de base, sans condition, le même pour tous, à chaque être humain,
quel que soit son âge ou sa condition.
La technologie et la spéculation ont largement ce qu’il faut pour le payer,
qu’on ne nous raconte pas de conneries, on ne croit plus un mot de ce que vous dites.

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