Un écrivain, un vrai
LE MOT DE L’ÉDITEUR
Un écrivain, un vrai, c’est le titre de l’émission de téléréalité dont Gary Montaigu a accepté d’être la vedette. Une équipe télé s’est installée chez lui et le filme en permanence ; au fil de rendez-vous quotidiens, les téléspectateurs sont invités à intervenir sur l’intrigue de son roman en cours. Auteur populaire et reconnu par ses pairs, Gary est au faîte de sa carrière. S’il s’est prêté au jeu, c’est par ambition mais aussi par amour sincère de la littérature, dans la conviction que la petite lucarne a le pouvoir d’inoculer le virus de la lecture dans tous les foyers. Quelques mois plus tard, il a déserté la vie publique, n’écrit plus rien de bon et reste enfermé chez lui, dans un fauteuil roulant… aurait-il sous-estimé les effets de la médiocrité télévisuelle ? Avec une ironique clairvoyance, Pia Petersen interroge le rôle de l’artiste dans nos sociétés contemporaines interactives. Face au simplisme démagogique et aux charmes fallacieux du storytelling, elle plaide avec détermination pour la complexité de la pensée, la liberté de créer sans le souci de séduire, l’engagement total sur un chemin de création, sans concessions...
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PIA PETERSEN
Un jour, la téléréalité est arrivée, la manipulation du réel a été légalisée, l’intelligence a été dévalorisée, l’esprit critique a été remplacé par un simple jugement j’aime/j’aime pas et il est devenu quasiment interdit de dire non sous peine de se faire accuser de négativisme. J’ai eu peur. Vraiment peur. Comment est-ce possible d’en arriver là?
Tout pouvoir abusif tente, depuis toujours, de museler les écrivains. Est-ce que la téléréalité et ces nouveaux comportements qu’elle induit ont réussi là où les dictateurs ont échoué? L’écrivain doit désormais être populaire, savoir plaire, émouvoir. Mais que deviendra le monde si plus personne ne remet en cause la vérité énoncée, si plus personne ne peut dire non, si plus personne ne pense contre? Dire non n’est jamais simple, c’est s’attirer les ennuis, l’hostilité des uns et des autres, c’est affronter l’impopularité. Qui a envie de ça? Je me suis demandé comment l’écrivain survivrait à ce phénomène. Comment ferait-il pour maintenir sa liberté d’écrire sa vision du monde? Et Gary, auteur à succès ayant reçu un prix prestigieux décerné par le gotha new-yorkais, a vu le jour.
Gary accepte avec enthousiasme de participer à une téléréalité entièrement axée sur sa personnalité, il veut être au plus près des gens pour les amener vers la lecture. L’enjeu, c’est un livre qu’il écrirait avec le public, un roman participatif. Mais que se passe-t-il quand l’écrivain doit anticiper les désirs des lecteurs ? Et quelle est en fait la fonction d’un écrivain ? Gary est à l’écoute, il essaie de faire au mieux, de satisfaire tout le monde. Écrivain facile, diront les uns, gâchis littéraire, diront les autres. Pourtant on peut le comprendre. Quel écrivain ne rêve pas d’un lectorat aussi large que possible, d’un monde peuplé de fous de littérature, de philosophie, de connaissance ? Les écrivains rêvent de changer le monde. Mais à quel prix?