Pia Petersen, rebelle écrivaine
Guillaume Chérel
Novembre 2022
#Société #Liberté #Résistance #StreetArt #Hackers #SiliconValley
#Algorithmes #Censure #Tyrannie #FakeNews #LibreArbitre
Pia Petersen est une écrivaine à part. Son style est inimitable. Hors norme. Sans vraie nationalité (même si elle est née au Danemark), ni limites, ni frontières. C’est une voyageuse. En Grèce, quand elle était jeune, elle a été contaminée par le virus de la philosophie. Elle a étudié en France, à la Sorbonne, vécu à Marseille. Elle publie des livres qui font réfléchir… Vous imaginez? En ce moment ! A l’ère des imposteurs, des menteurs et de la dictature du storytelling de loisir. De la tyrannie de l’écriture positive, ou négative, mais bankable, vendable à «l’odieux-visuel»… Ses livres ne sont pas formatés, donc pas «pitchable» en trois phrases.
Allez, j’essaie quand même. La vengeance des perroquets, son nouveau roman, se passe à nouveau à Los Angeles, comme dans Paradigma (Equinox/Les Arènes, 2019, que nous avions chroniqué), juste avant l’épidémie de Covid-19, et les restrictions de liberté… Pour notre bien (Big Brother is watching you). Un professeur de Stanford disparaît. Passionné par l'éthique numérique, il travaille sur les algorithmes et le secret de leurs boîtes noires, les fichiers sources. Bloquée, à Paris par la fermeture des frontières, une artiste alerte l'opinion publique. En collant une série de pochoirs sur les murs de la ville, elle déjoue la censure, transgresse le totalitarisme sanitaire, dénonce les fake news. Les bad boys de l'art s'en emparent, les réseaux sociaux s'enflamment : des vidéos, des photos de ses oeuvres éphémères font le tour du monde. L'attention des médias se braque sur l'homme qui inspire la street artiste et attise sa colère: Palantir, magnat du numérique et roi de la Silicon Valley.
On pense à Mistic, Banksy, Ernest Pignon-Ernest, mais aussi à Elon Musk, Amazon, Google, FacebookMeta, Trump, Bolsonaro, et aux réseaux soucieux, évidemment. Quand Pia Petersen décèle un (gros) problème, elle et essaie de le penser, en se posant des questions. Elle n’a pas fait philo, à la Sorbonne, pour rien. Elle a un cerveau et s’en sert pour penser par elle-même. C’est une autrice engagée. Politique, oui mais anarcho-libertaire, pas «libertaliénée». J’arrête avec les jeux de mots, promis. C’est une résistante, comme Luna l’était dans Paradigma, et Emma dans La vengeance des perroquets. La question est la suivante: peut-on encore penser librement, de nos jours, sans tomber dans les excès (racisme, antisémitisme, sexisme…), ou être forcément dans le vent, la tendance qui se vend? Bref, obéissant. Comme les autres. Pia Petersen est un électron libre, je le répète. Elle a compris très vite que la société s’est construite sur des inventions et créations, contre-propositions, contestations, venant d’individus rebelles (à la marge, à la lisière des possibles), qui n’hésitent pas à dire que quelque chose ne va pas. Si on ne peut plus dire non, que ça ne va pas, comment penser demain?
Publié à la rentrée littéraire, les perroquets ont eu moins d’échos que la daube dont on fait les choux gras dans la presse mainstream, et c’est à ça que servent, modestement mais sûrement, des contributions comme celle-ci. Pia Petersen a publié une douzaine de romans hors genre, hors pair, hors norme. Les génies, comme les talentueux ne sont pas toujours reconnus de leur vivant. Elle sait qu’écrire est une chimère, une goutte d’eau dans un océan de bêtise, mais elle continue, vaille que vaille. En sachant qu’elle n’est pas seule. La résistance existe, souvent dispersée mais réelle et opiniâtre. Tenace. Pugnace. Déterminée.
Son immersion dans le monde des street artists et des hackers numériques est une métaphore de la Résistance pendant la seconde guerre mondiale. Les prétendus radicaux, taxés de «terroristes» en ce moment, comme les activistes écolos, black-blocks, ne font que répondre à la violence du système capitaliste, par des actions percutantes à la hauteur de la répression (comme le rappelaient Brecht et London, entre autres). Pia Petersen, comme Emma, n’est pas dupe. Elle sait que le combat est inégal, mais elle sait aussi que les guérillas finissent toujours par l’emporter si la cause est juste. Elles sont déterminées en terrain miné.
Non, elles ne laisseront pas les algorithmes empoisonner l'humanité. La Silicon Valley ne représente pas le rêve américain. C’est l'antichambre d'une machine policière infernale. Il suffit de regarder ce qui se passe en Chine. Pas besoin de regarder la série Black Mirror sur Netflix. Il n’y a que la révolte pour contrer cette uniformisation. Cette mise au pas des individualités. Chacun lutte avec ses armes. Pia Petersen se sert de son art (écrire) et de son cerveau (sa libre pensée). Elle dit non à une société ultrasécuritaire. Oui à l’art sans violence, autre que graphiques, verbale, littéraire, conceptuelle. Une autre manière de faire de la politique. De militer, autrement que par des slogans populistes, et des discours démagos et hypocrites.
Si Emma, comme Pia, se battent pour leur liberté, c’est par instinct de conservation. C’est pour avoir le droit d’exister. Libres d'aimer qui elles veulent, quand elles veulent, comme elles veulent. Libres de leurs mouvements (fuck ! les nationalités et les frontières artificielles). Libres de penser librement. La boucle est bouclée. Comment reconquérir notre liberté ? En la reprenant. En résistant. Seul.e ou en groupe. Mais fermement. Demain, il sera trop tard. La liberté se gagne dans l’instant présent. Les livres de Pia Petersen resteront, car ils ont du sens. Ils ne se contentent pas de dire le monde dans lequel nous viv(i)ons. Ils le contestent, le commentent et le jugent. Or, juger ce n’est pas condamner, c’est penser par soi-même. En exerçant son (putain de) libre arbitre. Puisque nos réalités ne sont pas les mêmes. Tout en respectant son prochain, Amen !
Guillaume Chérel