Un écrivain, un vrai,
ça existe encore ?
Pia Petersen répond. Définitif !

HUFFINGTON POST
François Xavier
Février 2013

LITTÉRATURE - Avons-nous encore une chance de sauver les meubles ?

Sans vouloir jouer les Cassandre, il semble que la messe soit dite: nous l'avons vu avec les dérives actuelles de l'art contemporain, nous le subissons aussi de plein fouet dès que l'on tente d'ouvrir un livre vanté par les médias de masse qui ont d'ores et déjà capitulé dans l'Entertainment, qu'il soit imposé en lieu et place du traitement de l'information ou, désormais, comme référence en littérature.

Découvrir un livre populaire est désormais une souffrance: qu'il est loin le temps des Maigret ou des Arsène Lupin, ouvrages ouverts au plus grand nombre mais distillant une langue parfaitement maîtrisée et une architecture romanesque ciselée par des orfèvres en la matière. Lire un Musso ou un Lévy, un Zeller ou un Foenkinos, voire un Dicker (je vous fais grâce des Cinquante nuances de gris) est déjà un acte de contrition mais le plus dangereux n'est pas là, puisque des millions de lecteurs plébiscitent cette médiocrité défendue par des escrocs comme étant le sommet de la littérature, pardon, du divertissement... On a eu Richard Clayderman pour tenter d'assassiner la grande musique, mais il était seul, et il perdit la bataille ; par contre, on a des bataillons de faussaires qui se copient l'un l'autre, portés, non pas par des éditeurs mais par des groupes industriels qui vampirisent les étales des libraires et désormais les sites en ligne. Alors, que faire?

Comment tenter d'aller vers l'excellence, de défendre le style et la mise en perspective envers et contre tous surtout quand elle vient rebattre les cartes et oser s'opposer à ce qui n'est déjà plus une pensée commune mais bien une mise en esclavage des esprits et des comportements, donc du mode de vie des gens qui sont devenus en quelques années drogués aux réseaux sociaux, aux applications pour téléphonie, à la télévision, au GPS, etc.? Voire à l'anglais, cette langue désormais détruite de ses origines tellement elle est broyée par toutes les influences qu'elle admet, que vouloir la parler est aussi un supplice, surtout, quand à l'origine vous avez été initié par un professeur à l'accent d'Oxford, l'anglais, oui, qui s'est aussi imposé dans les réunions professionnelles dans nos sociétés françaises, dans les documentations et désormais, à l'université Paris V, parole de Michel Deguy dont la petite-fille vient de subir un trimestre entier de cours d'économie uniquement et seulement en anglais, des interventions des professeurs aux supports écrits...

Alors comment, dans ce contexte, espérer encore un peu que le français parvienne à survire hors des chemins des contrebandiers, surtout dans le domaine de la littérature. Comment justifier les pressions, les campagnes de calomnie, les délations, les plagiats en série (parfois récompensé comme ce fut le cas pour Joseph Macé-Scaron qui fut pris la main dans le sac mais à qui l'on décerna tout de même un prix) d'une majorité de corrompus qui ont vendu leur âme pour briller le temps d'un article, d'une récompense au détriment de ceux qui creusent le sillon littéraire sans la moindre concession, de Richard Millet à José Saramago, d'Alain Fleicher à Michel Déon, de Thomas Pynchon à Henry Bauchau?

C'est tout l'intérêt du livre de Pia Petersen: imaginer ce que serait la vie de Gary Montaigu, immense écrivain franco-américain installé à New York qui vient de recevoir la plus grande distinction littéraire américaine et qui se voit embarquer dans une émission de téléréalité, Un écrivain, un vrai. Va-t-il renoncer à ses idéaux d'étudiants, lui qui voulait écrire une œuvre pour participer au changement du monde, dire non et imposer un temps de réflexion et des pistes d'avenir via ses romans ; ou va-t-il succomber aux sirènes mercantiles et se laisser dicter son livre par les téléspectateurs qui votent, j'aime, je partage (le vote négatif, pourtant si constructif car imposant un débat, une argumentation, est prohibé par les producteurs) dans un même élan bêlant de mièvreries surannées car la vie est trop dure, alors il faut se faire plaisir en lisant des choses faciles et belles et douces... Fermez le ban!

Hé oui, d'ailleurs Ruth Montaigu veille au grain et bride son talentueux mari pour qu'il soit moins littéraire, car il devrait savoir que les gens n'aiment pas ça (sic). Les gens? Mais quels gens?! Ceux qui regardent la télé et votent avec leur pouce? Mais voilà, il faut avant tout donner une bonne image, de soi et du roman. Tout était question d'apparence et de communication et la communication n'était que de l'auto-promotion. Et il fallait donc obéir encore une fois pour ne pas choquer la ménagère de moins de cinquante ans. L'acceptation était hissée au rang de l'héroïsme. Dire non poussait au débat, dire non condamnait à la marge, dire non excluait de la norme, dire non était négatif. La négativité vitale, disait Philippe Muray, mais qui veut bien l'admettre aujourd'hui quand c'est tellement plus facile d'enfoncer les portes ouvertes et de croire benoitement tout ce qui se dit...Or un écrivain n'a pas à s'adonner à la mièvrerie ni au consensus.

Il dit que c'était ça, écrire le vertige de la pensée et qu'il était prêt à entrer en guerre, qu'il n'y avait plus d'autres solutions que combattre pour changer le monde, le rendre plus beau, plus libre [...] c'était aussi pour déclarer la guerre au monde absurde qui était là-dehors, peuplé d'êtres qui ne voulaient plus être humains, qui s'abrutissaient à vue d'œil, qui n'avaient plus le courage de se lever pour agir et qui acceptaient sans ciller la fin du monde parce que c'était la fin d'une certaine forme d'humanité et qu'est-ce qui viendrait après, est-ce que quelqu'un en avait une idée?

Avec une once d'honnêteté vous constaterez combien Gary est lucide: notre époque manque cruellement de vitalité, les gens sont blasés, anesthésiés ; c'est l'abattement général qui enterre la spontanéité d'antan. Merci univers numérique qui fait de nous des assistés pour conduire, marcher, se détendre, et maintenant... penser, puisque toute tentative de réflexion est systématiquement punie, voir l'affaire Richard Millet, par exemple: avant même de le lire, les gardiens du temple ont sonné l'hallali et lapidé l'un des derniers troublions des Lettres, affaire classée.

Native du Danemark, Pia Petersen livre une réflexion magistrale sur le devenir de l'humanité, rien de moins, car sans poète, sans écrivain, le monde mourra tout aussi vite qu'il le ferait sans beauté, donc sans art et sans musique.
Distillé dans une langue française magnifiquement drapée dans un style limpide et imagé où les dialogues sont adroitement et diablement bien emmenés, enchâssés dans la phrase, un peu à la manière de Saramago mais avec une nouvelle trouvaille qui enchante tant elle démontre que l'on peut encore renouveler la langue française; et il aura fallu une fois de plus que ce soit de l'étranger qu'un regard neuf se pose sur notre syntaxe pour mieux la réveiller et l'habiller de ses plus beaux atours, son propos n'en est pas moins sidérant et la chute dramatiquement théâtrale pour bien signifier que la sauvegarde de notre âme passera inéluctablement par le sacrifice car c'est au seul prix du sang que les choses bougeront.

Du sang des tripes, disait Céline, il faut mettre sa peau sur la table!

Nul doute que Pia Petersen s'en est souvenue quand elle a entrepris son projet littéraire. Respect.