Cette fable cynique sonne comme une terrible prophétie

LE JEUDI DU LUXEMBOURG
Stéphanie Hochet
Février 2013

Pia Petersen écrit en français des romans audacieux et grinçants. Un écrivain, un vrai imagine le devenir d'un romancier qui se plierait au jeu de la télé-réalité.

Imaginons un monde où la littérature serait le sujet de la télé-réalité. Un monde où un écrivain serait continuellement filmé, où il aurait à s'épancher dans un confessionnal, où les lecteurs-spectateurs jugeraient la qualité de son travail d'auteur au fur et à mesure de son écriture en envoyant des sms et des indications «J'aime, je partage» comme on le pratique sur les réseaux sociaux… Tel est le thème de ce roman sarcastique que Pia Petersen situe dans le plus prestigieux centre culturel du monde: New York.

Ce fameux écrivain, ce «véritable» auteur, c'est Gary Montaigu, un homme de lettres expérimenté qui, au début du roman, vient de recevoir un grand prix littéraire qui le propulse dans une médiatisation folle, enivrante mais que, rapidement, il ne contrôle plus. Gary est un homme très entouré: comme tout auteur américain qui se respecte, il a un agent, Ethan, une femme, Ruth, qui s'y connaît en affaires et aspire à la célébrité tout autant – et finalement plus – que lui, et Miles, un producteur d'émissions de télévision aux dents longues attiré par la notoriété croissante de ce nouvel auteur branché. C'est du cerveau du diabolique Miles qu'est sorti le scénario de cette émission intitulée Un écrivain, un vrai et dont Gary est le héros.

Vif, drôle et grinçant

Le producteur a flairé la bonne affaire, et l'argent qu'il y avait à la clé: La littérature pourrait être rentable si les écrivains devenaient des hommes d'affaires et pourquoi est-ce que la littérature ne serait pas rentable? Oui, pourquoi ne le serait-elle pas?
Flatté dans son ego, attiré par l'argent, influencé par son épouse très mante religieuse, laquelle se considère comme sa muse mais aussi comme son coach, Gary devient le premier écrivain de téléréalité filmé dans son quotidien, livrant son intimité au regard des téléspectateurs qui, en retour, pilotent la main de l'auteur au gré de leurs préférences «littéraires» s'exprimant en nombre d'approbations (J'aime, je partage).

La machine médiatique s'emballe. Certains se réjouissent que cet art élitiste devienne enfin populaire: La littérature était enfin à la portée de tous et reflétait la société. Prend-on conscience qu'on se délecte d'un spectacle morbide, celui de la destruction de la notion de créateur? Gary peut bien se bercer de l'espoir qu'un jour, grâce à l'argent et à la liberté qu'il aura gagnés avec cette concession au public, il pourra écrire des romans puissants et dévastateurs comme des ouragans et réinventer une littérature ambitieuse où il (serait) encore possible de penser, une littérature de souffle, de la grande littérature, le combat pour l'indépendance créatrice s'annonce coriace dans un monde gouverné par l'image et la dictature du plus grand nombre…

Ce roman, vif, drôle et grinçant est le coup de maître de cet écrivain reconnue pour son sens de l'ironie.

Cette fable cynique sonne comme une terrible prophétie qui ne cesse d'interroger le lecteur: quels mythes sommes-nous en train de créer pour les générations à venir? Quel est le rôle de l'écrivain? A quel point l'image est-elle en train de nuire à l'écrit?
Pia Petersen rappelle: C'est ce que fait un écrivain, il se pose des questions.
Et si nous commencions à y répondre?