Ce livre met le doigt là où ça fait mal
LES LECTURES D'ASPHODÈLE
Octobre 2013
Quelle claque que cette lettre !
Cent huit pages de féminité et de féminisme revendiqués. Eh oui! Les deux ne sont pas incompatibles, il est même recommandé de n’en perdre aucun de vue pour ne pas faire reculer les choses (vu qu’elles n’avancent pas beaucoup)… Que ça fait du bien de lire une prose sincère, vraie qui ne s’encombre pas du quand-dira-t-on!
C’est encore une lettre de la Collection Les Affranchis de NIL, ma cinquième lettre. C’est à ce jour, à mon goût, peut-être pas la plus belle d’un point de vue stylistique mais la plus vraie, la plus touchante.
Dans cette lettre, Pia Petersen écrit à l’homme qu’elle aimait passionnément et qu’elle a abandonné au pied de l’autel un an plus tôt. Elle veut lui redire pourquoi elle a fait ça, elle lui avait déjà dit pendant leur liaison, mais il semble qu’il n’ait pas entendu. En effet, il était marié, il a tout quitté pour elle alors qu’elle ne le voulait pas, tout comme elle ne voulait pas d’enfant. Elle aime encore très fort cet homme qui refuse tout contact avec elle depuis ce jour. Elle décortique ici avec une logique implacable une suite d’évidences pour nous dire comment la femme est championne du monde pour s’aliéner alors que le féminisme qui est passé par là lui permettrait de choisir sa vie, de se définir tout d’abord en tant qu’être humain et seulement après, en tant que femme. Je me suis longtemps demandé pourquoi et c’est assez incroyable mais les femmes se définissent encore aujourd’hui d’après leur ventre. (p.48).
Paradoxalement, les femmes libres de ne plus enfanter depuis l’avènement de la pilule ont érigé comme idéal la maternité triomphante et s’empressent de renvoyer dans la marge celles qui ne suivent pas le chemin de la reproduction et les codes sociaux qui vont avec: «Être épanouie sans être mère, sans avoir d’enfants, réveille presque toujours une agressivité qui ne dit pas franchement son nom. (…) C’est fou ce que les femmes peuvent se ressembler quand elles sont liguées contre une même personne. (p.55).
D’une voix douce et amoureuse, ponctuée de tu me manques, Pia Petersen va bien plus loin que la simple lettre d’explication. C’est un véritable plaidoyer pour rappeler à celles qui ont mémoire courte ce qu’est la liberté de la femme, contre les femmes qui érigent des ghettos toutes seules, se posant toujours en victimes de l’homme alors que ce schéma n’existe plus mais il est tellement ancré dans la mémoire collective que les femmes ont bien du mal à s’en défaire et celles qui le font sont montrées du doigt, condamnée à une vie sociale compliquée voire impossible en dehors des périphéries isolées…
Et Pia ne veut pas de chaînes au nom de l’amour: Le mariage c’est signer un contrat dans lequel il est stipulé qu’il ne faut plus jamais tomber amoureux de quelqu’un d’autre. Est-ce que l’on a si peur de perdre l’autre que l’on soit obligé de lui mettre un contrat autour du cou ? (…) Je ne veux pas d’un homme qui resterait par devoir (p.45).
Elle nous dit aussi la priorité de son travail d’écrivain, indissociable de sa personnalité, un véritable mode de vie et son inquiétude quant à l’avenir de la littérature tant que les femmes qui écrivent et lisent la majorité de la production actuelle resteront dans un schéma matriarcal et ghettoïsé. Cela pourrait ressembler à une nouvelle forme de dictature.
Alors oui bien sûr, vous vous en doutez ce livre met le doigt là où ça fait mal, il dénonce des modèles qui ne marchent pas, comme celui du mariage+enfant=bonheur à vie, et surtout nous regrettons avec Pia Petersen que la femme ait encore de nos jours une si piètre vision d’elle-même.
Un petit livre à mettre entre toutes les mains, des femmes comme des hommes car il ne s’agit pas ici de monter les uns contre les autres mais de démonter les mécanismes éculés qui contribuent à l’incompréhension entre l’homme et la femme dès que nous sortons des normes sociales établies et inattaquables. On peut aimer les romans de Jane Austen sans pour autant perdre de vue que la société nous permet aujourd’hui, à nous les femmes, des choix assumés que nous n’avions pas il y a à peine cinquante ans…
Sans oublier que l’homme et la femme sont faits pour s’aimer, car il est aussi beaucoup question d’amour ici!