Pia Petersen, celle qui n'aime pas les virgules
Muriel Steinmetz
Septembre 2022
Enfant surdouée, la Danoise a dû longtemps se battre contre un passé de solitude. Après des fuites au loin et de belles rencontres, elle a appris le français en lisant des romans. Elle en écrit à son tour.
J’en ai assez d’être vue comme la Danoise qui écrit en français, du coup, personne ne parle vraiment de mes livres. Visage à la Jane Seberg, voix musicale, léger accent, Pia Petersen (prix du rayonnement de la langue et de la littérature française de l’Académie française en 2014) vit à deux pas du bois de Vincennes, dans un tout petit deux-pièces – 6e avec ascenseur – partagé avec Bruno, l’ami libraire (ex-grand fêtard chevaleresque, fou de Victor Hugo), et Max, un gros chien qui tourne un peu en rond. Les chaises, pour gagner de la place, sont pendues au plafond.
Je vais libérer le verbe
Elle vit là quand elle n’est pas aux États-Unis, du côté de Los Angeles, dans « sa cabane en bois ». Son dernier livre, La vengeance des perroquets, sorti en septembre aux Arènes, parle de cyberpunk, de hacktivisme, d’artivisme. C’est aussi une histoire d’amour en période de «totalitarisme sanitaire». Pia sent l’époque. En 2014, Un écrivain, un vrai dénonçait la mainmise de l’opinion publique télévisuelle sur l’univers d’un auteur soi-disant incorruptible. En 2013, Instinct primaire développait un faisceau d’idées sur la condition de femme et de mère. L’héroïne prônait le célibat «comme une des conditions nécessaires à l’amour». Cette fois, il s’agit de robotisation et d’algorithmes.
L'écrivaine a un long passé de solitude, d'incompréhension, de rejet. Enfant surdouée, la petite Danoise née près de Copenhague, est vue de travers à cause de ses yeux vairons. Sa taille - petite - d'enfant blonde aux longs cheveux frisés inquiète, ses lèvres pulpeuses étonnent. On me surnommait la négresse. À 4 ans, elle frôle la mort: double péritonite avec allergie aux médicaments. Rescapée, elle tanne ses proches avec des questions trop grandes pour elle. À 7 ans, sur une carte postale à son père, elle écrit: Je vais libérer le verbe. On murmure qu'elle est un peu sorcière! Pia marche sur le fil de ce pouvoir vulnérable et, à 16 ans, elle part en Grèce. La savoir loin nous sauvait ose dire sa mère.
Un oiseau migrateur
Après la Grèce, ce sera Paris, où elle est embrigadée dans une secte. Cela donnera Passer le pont (Actes Sud, 2007). À l'époque, j'avais du mal à canaliser mon cerveau. Le gourou a tout de suite senti ma fragilité. Elle s'enfuit, vit de petits boulots (serveuse au Burger King, fait la manche. Elle songe à écrire. Un jour, c'est le choc: Moi qui n'avais rien à me mettre sous la dent, moi dont le cerveau marchait à vide, j'entre au paradis en découvrant la philosophie, cette matière qui pose des questions sur tout. Via un système d'équivalences, elle entre en Deug sans presque parler le français. Son futur projet romanesque germe là: Écrire des romans non pas philosophiques mais où j'allais pouvoir cacher des questions dans le fil de la narration. Jean Maurel, maître de conférences en philosophie à Paris-1, ancien assistant de Vladimir Jankélévitch, la prend sous son aile et devient son directeur de maîtrise. Sujet: Autoportrait et philosophie.
Mon esprit fonctionnait à plein tube, je lisais trois livre par jour, j'ai appris le français dans les romans. La rencontre avec Bruno, fin lettré, chef de rayon dans une librairie de la rue Oberkampf, signe le début d'un long compagnonnage amical. Ils s'installent à Marseille, ouvrent le premier café-librairie de France grâce à un petit héritage.
Alors que mon cerveau marchait à vide, j'entre au paradis en découvrant la philosophie.
Ses premiers pas (réussis) en littérature, Pia les doit à Hubert Nyssen, fondateur d'Actes Sud, à qui elle envoie ses manuscrits. Il la conseille, la corrige, l'édite. La plupart de ses livres y seront publiés: Parfois il discutait avec Dieu (2004), Une fenêtre au hasard: (2006), Passer le pont (2007), Iouri (2008), Une livre de chair (2009), Un écrivain, un vrai (2013)...
Un relatif succès l'amène à voyager: Inde, Chine, États-Unis. Oiseau migrateur, Pia est en quête d'un endroit où être chez soi dans le monde. Paris s'impose enfin, non sans échappées belles dans l'Ouest américain.
Elle se bat tout le temps, y compris avec les correcteurs. Son français est singulier. Elle n'aime pas les virgules et n'hésite pas à répéter un mot dans une même phrase: La répétition dit le côté répétitif, justement, de notre époque. Tout le monde porte les mêmes Adidas, les mêmes jeans.
En période de création, la vie de Pia Petersen s'oriente côté roman, comme un tournesol vers le soleil. Je parle le langage du livre, je l'habite, de façon littérale, du lever au coucher, dit-elle, posée dans un fauteuil blanc, quand la nuit tombe sur le bois, tandis que Max le chien mord dans une fausse côtelette et que Bruno apporte le dîner qui fume à la lueur des bougies.
Muriel Steinmetz