Sa vie est un roman

Éric Libiot
Novembre 2022

L’écrivaine danoise construit des univers et des récits où l’ironie et la réflexion viennent nourrir ses intrigues.
Rencontre avec une femme libre et discrète.

Juste avant de commencer l’entretien, Pia Petersen était en train de lire sur son ordinateur le nouveau roman de Percival Everett, Dr. No, sorti… la veille aux États-Unis. C’est dire si l’envie la tenaillait. «C’est un écrivain que j’aime beaucoup, qui raconte des choses folles auxquelles il est difficile de croire. Mais dès qu’on commence le livre, on y croit immédiatement. Il a ce talent-là.» Exemple avec ce Dr. No, l’histoire d’un homme qui aspire à devenir aussi méchant que les méchants des aventures de James Bond en volant à Fort Know une boîte dans laquelle il n’y a rien, et qui s’en va demander à un professeur de mathématiques de lui expliquer le phénomène du rien. Effectivement séduisant. Pia Petersen aime aussi Romain Gary, le chat Garfield, Balzac, qui la fait beaucoup rire, Robin des Bois et Daniel Picouly. Éclectique et, pourquoi pas, déroutant.

Mais l’univers de Pia Petersen, née au Danemark, installée près de Paris, qui écrit en français et avoue «qu’un roman est [sa] maison», n’est peut-être pas moins surprenant. Dans Mon nom est Dieu, elle imagine Dieu se rendre sur Terre pour écrire sa biographie, dans d’autres livres elle traite, souvent avec ironie, de l’écriture, de la pauvreté, de la soumission ou de la possession en s’attachant à des personnages qui affrontent des situations extra-ordinaires: «La fiction crédibilise ce qui pourrait arriver dans la réalité.» La Vengeance des perroquets, son dernier roman, confronte trois personnages, un magnat de l’intelligence artificielle, une artiste peintre capable de débusquer la cruauté de ses modèles, un prof spécialiste des algorithmes retenu en prison on ne sait pas pourquoi. Une valse à trois, grinçante et tragique. «Le roman traite de la façon dont les algorithmes s’installent dans la société. La mythologie grecque rêvait déjà d’un robot parfait. Aujourd’hui, alors qu’on a la possibilité d’en mettre au point, personne n’en veut. Je pose la question: pourquoi les êtres humains ont-ils tendance à préférer le mal-être au bien-être? L’origine de mes romans est toujours une question.» Un tropisme qui lui vient de ses années d’étudiante en philosophie. Ou d’une confrontation, à 4 ans, avec l’«expérience de mort imminente.» Ou de son voyage en Grèce, à 16 ans à la recherche de Zorba le Grec… On dirait un personnage de roman.

LIBÉRER LE VERBE

Rien d’étonnant, puisque la vie de Pia Petersen pourrait ressembler à un roman. «Je suis née dans un pays où personne ne doit être au-dessus ni en dessous. Tout le monde au même niveau. Le problème, c’est que je ne suis jamais au milieu.» À 7 ans, Pia écrit à son père sur une carte postale qu’elle sera écrivaine et qu’elle «libérera le verbe». Une décision pas si facile à comprendre, si ce n’est que le concept de liberté est au centre de ses romans et de sa vie. Après la Grèce, direction Paris: la rue, l’emprise d’une secte, la fréquentation de la petite délinquance, les petits boulots et autant de démissions, la philosophie à la Sorbonne, l’ouverture d’une librairie-café à Marseille, enfin la publication d’un premier roman au titre un brin ironique, Le Jeu de la facilité. Ouf! Puis la rencontre avec Hubert Nyssen, patron d’Actes Sud, où elle publiera six romans. Ceci peut résumer son univers littéraire: «Quand j’ai lu La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, j’ai voulu essayer car cette sobriété me fascinait. La première phrase était dans le ton, mais dès la seconde il n’y avait plus aucune sobriété.» La question qui la fait cogiter en ce moment: «C’est quoi, être naturel?» Il est temps de partir, un nouveau roman va s’écrire.
Éric Libiot