Pia Petersen
ou le Danemark francophone
TRANSFUGE
Alain Mabanckou
Février 2006
En 1995, Françoise et Hubert Nyssen créèrent donc la collection intitulée Un endroit où aller au sein de leur maison Actes Sud. L’intitulé de la collection est à lui seul déjà une invitation à la découverte, et les amoureux des lettres francophones seront plus que surpris de trouver des affinités pour le moins extraordinaires!
Bien sûr qu’on y retrouve déjà des auteurs comme Alice Ferney, Nancy Huston, Assia Djebar ou Michel Butor, mais aussi Pasolini, Montaigne, ou Berberova. Ce n’est pas cela qui avait suscité mon admiration pour la collection.
Un endroit où aller a inventé, sans bruit, un grand îlot de francophonie en publiant ma grande amie danoise…
Reprenons notre souffle et expliquons les choses avec calme.
Elle s’appelle Pia Petersen. Elle est danoise. Je l’avais croisée il y a quelques années à Toulouse, au salon du Livre et du vin de Balma. Elle était assise derrière une pile de livres, espérant signer ce qui était alors son unique roman publié en toute clandestinité chez Autres Temps, Le jeu de la facilité. Les lecteurs s’arrêtaient par politesse, parcouraient la quatrième de couverture, découvraient que c’était une Danoise qui n’était pas traduite, mais qui écrivait directement en français. Et puis, on reposait le livre sur la table, avec un sourire de convenance pour l’auteur.
Et Pia Petersen de me confier, le sourire aux lèvres: Les choses auraient été peut-être plus simples si j’étais une francophone du Congo comme toi! Même les éditeurs se méfient de moi, parce que c’est suspect qu’une Danoise écrive en français…
Elle s’amuse à mettre la langue française à nu, à lui infliger des accents, ceux-là qui naissent de la pratique d’une langue d’écriture. L’essai d’Alain Fleischer, L’Accent (Seuil, 2005), serait volontiers invoqué ici comme pièce à conviction.
Pia Petersen est née au Danemark. Elle est arrivée en France au-delà de la vingtaine, ne parlant pas la langue de Voltaire, mais fascinée par la culture française et animée par la volonté de poursuivre des études de philosophie. Les images étaient là: Descartes, Sartre, Derrida, Foucault etc. Elle voulait étudier la pensée de ces intellectuels dans leur langue, sans la traduction dont elle se méfie. Elle a travaillé pour cela. Une langue se mérite.
La voici, Pia Petersen, une vingtaine d’années plus tard, qui vit toujours dans le sud de la France, publie des romans en français, après avoir pris soin des livres dans une librairie qu’elle dirigeait ! Elle se consacre entièrement à la littérature.
Hubert Nyssen a reçu un jours quelques textes de Pia Petersen, découragée par les refus d’éditeurs. Le flair qu’on lui connaît a joué. Il était en face d’un écrivain, d’un univers. Il allait la publier. Il lui a fait signer un contrat avant l’achèvement du manuscrit.
Et Pia Petersen me soufflait ses angoisses au bout du fil. Lorsqu’elle m’appelait de France, aux USA il était parfois 5 heures du matin. Simplement parce qu’elle venait de trouver l’incipit de son roman. Elle exultait alors:
Voilà, j’ai trouvé ce début et je le garde: Il avait encore menti et c’était stupide, voilà ce qu’il pensait, il était stupide.
Qu’est-ce que tu en penses, me demandait-elle à brûle-pourpoint. Et je bredouillais quelques commentaires sans queue ni tête, sachant que Pia Petersen est sans cesse en train de retravailler à longueur de journée ce qu’elle a créé la nuit…
La Francophonie danoise compte désormais deux livres dans la collection Un endroit où aller.
Son premier est paru en 2004, Parfois il discutait avec Dieu. Qui d’autres que des personnages humbles, ceux de la rue, peuvent discuter avec Dieu, voire Le tutoyer? Un de ces êtres, Pia Petersen le décrit avec une sobriété qui traduit sa préférence du mot juste à l’emphase facile dans laquelle tombe le romancier zélé: Mais il avait des trous dans ses chaussures, des boutons manquaient à sa veste et en plus la bibliothécaire savait qui il était, mais elle faisait comme si c’était vrai et elle le dirigeait vers le rayon où il y avait des livres sur les Indiens. Il s’en foutait des Indiens. Il l’avait dit comme ça. Pour se sentir important.
Enfin, en 2005, elle a fait paraître Une fenêtre au hasard. Comme un appel à l’horizon, une fenêtre que le personnage principal retrouve à chaque instant, son existence étant désormais dictée par l’urgence et la manie de regarder par cette ouverture dans l’attente que quelque chose se passe en face. Une espèce d’atmosphère du Désert des Tartares de Buzzati ou de l’attente à la Samuel Beckett?
Comme toujours, puisque rien ne se passait jusqu’alors, quelque chose arrive enfin!
L’année francophone qui s’ouvre en France considèrera-t-elle Pia Petersen comme un écrivain francophone ou danois?
Je plaide pour son intégration dans la francophonie.
Le Danemark a désormais une petite fenêtre au hasard vers le monde francophone. Nous nous en réjouissons!