Voilà un roman passionnant
ACTU DU NOIR
Jean-Marc Laherrère
Avril 2019
Une découverte pour moi aux éditions des Arènes
Los Angeles, l’usine à rêves et à fantasmes, à la veille de la cérémonie la plus glamour du monde médiatique : les Oscars. Qui risque cette année d’être un peu perturbée.
Sur internet la mystérieuse Luna appelle, sur un blog de plus en plus suivi, tous les homeless de la ville et d’ailleurs à se rassembler lors d’une marche silencieuse pour rendre enfin visibles ces hommes et ces femmes qui ne sont que des chiffres dans les statistiques.
En parallèle, avec un collectif de hackeurs, elle prépare la prise en otage de toutes les données numériques des grandes entreprises et des comptes fédéraux. Le but : constatant que la révolution a déjà eu lieu, qu’il n’y a plus de travail pour tous, et que ce mythe du travail ne sert qu’à faire pression sur tous ceux qui en cherchent, obliger l’état à instaurer une rente universelle qui assure une vie digne à tout le monde.
Bien entendu, ceux qui ont le pouvoir et l’argent ne l’entendent pas de cette oreille.
Voilà un roman qui, s’il n’est pas totalement satisfaisant d’un point de vue romanesque (avis très subjectif) se révèle cependant extrêmement intéressant, voire passionnant.
Ce qui est passionnant ce sont les idées brassées par le récit, au travers des réflexions de Luna. Qui nous mettent le nez dedans.
Un, oui la révolution que certains appellent de leurs vœux a déjà eu lieu, mais pas dans le sens espéré. Il y a déjà des années que toutes les politiques, ou presque, dans tous les pays, ou presque, ont placé l’économie au centre du jeu, reléguant l’humain au rang d’outil et de variable d’ajustement. Ecoutez les discours et les argumentaires … C’est bon ou mauvais pour l’économie, que le discours soit libéral, écologique (où on nous vend des solutions écologiques qui vont créer du travail et donner un avantage … économique à ceux qui seront les pionniers), solidaire (on nous parle bien d’économie solidaire) etc …
Deux nous vivons, combattons, dans l’ancien monde, celui du mythe du travail. C’est terminé, il n’y a plus de travail pour tous, maintenir cette illusion permet de d’exercer une pression insupportable sur ceux qui ont un boulot, et ont forcément peur de le perdre.
Trois, nous acceptons, jusqu’à ce jour, que les pauvres, soient culpabilisés, parce qu’ils sont aidés, assistés comme disent les enflures, parce qu’ils profitent d’une richesse qu’ils ne produisent pas. Alors que, ironie du sort, ceux qui ont accaparé la plus grande partie de la richesse du monde, justement, n’en foutent pas une rame (et oui, que va faire l’inutile qui quitte Airbus pour mériter 37 millions d’euros : il va prendre sa retraite !).
Du coup, quelle autre solution que de profiter de la productivité accrue et des immenses richesses crées pour assurer un minimum de vie digne à chacun, qu’il travaille ou non ?
Donc oui, l’auteur propose une réflexion salutaire.
Autre grande réussite du roman, la description de la marche des pauvres, encadrée par les gangs de LA, dans les quartiers les plus ostensiblement friqués de LA. C’est le morceau de bravoure du roman, il est réussi, ample, spectaculaire, il a du souffle.
Mais c’est aussi là, en lisant cette fin réussie, que je me suis pris à rêver de ce qu’aurait fait le regretté Ayerdhal d’une telle thématique. Comment il nous aurait planté des personnages, la galerie d’originaux, de membres de gangs, de femmes qu’il vaut mieux de pas chercher qu’on aurait découverte. Comme on aurait trouvé jouissif de vivre avec eux le temps de cette marche, de découvrir quelques pans de leur vie, comme on aurait tremblé pour leurs vies, fêté leurs succès, comme on a vibré par exemple avec les personnages de Rainbow Warriors.
Ici, si la scène d’ensemble est impeccable, il m’a manqué ça, cette incarnation des idées, pour que ce roman passionnant mais parfois un peu aride se transforme en livre bouleversant et enthousiasmant.
A lire quand même, malgré ces regrets.