Le monde sombre dans l’ignorance
ANTIPODE
Geneviève Renard
Juillet 2013
Un écrivain, un vrai de Pia Petersen, publié chez Actes Sud, imagine la vie de Gary Montaigu, écrivain franco-américain qui reçoit l’International Book Prize, prestigieux prix littéraire américain, puis se laisse convaincre au faîte de sa gloire par sa femme et un réalisateur sans scrupules, d’être le héros d’une émission de téléréalité unique en son genre, sensée suivre les progrès réalisés par l’écrivain sur son prochain roman en direct, avec une équipe technique présente 24/24h dans sa propre maison, une journaliste du New York Times jouant l’intrigante et bien sûr son épouse en épouse parfaite.
Oui mais, Gary est un personnage ambigu, sûr de lui, dragueur, populaire mais suffisamment intelligent pour très vite se rendre compte de son immense bêtise. Livré en pâture au public qui lui dicte désormais la destinée de son roman, il se révolte et refuse de poursuivre l’émission. A quel prix et pourquoi, il se réfugie derrière l’écrivain qu’il aurait voulu être, celui qui pouvait passer du temps sur son récit sans tenir compte du public, en regardant une mouche et une araignée dans sa cave qu’il ne quitte plus, seulement dérangé par sa femme-muse, qui relit, co signe et pousse son mari vers le vide sidéral, le roman aimé et partagé par des milliers de spectateurs.
Les rumeurs vont bon train, on dit qu’il a disparu, le roman n’avance pas et les seules feuilles potables sont trop littéraires. Pour Gary, le monde sombre dans l’ignorance, dans l’obsession de la sécurité, dans le profit, l’esprit critique n’est plus possible, remplacé par j’aime, je partage et lui, il se demande si ça sert encore à quelque chose d’écrire; à une époque il pensait que la littérature contribuait à la construction de la société, elle était cet intervalle où il était encore possible de penser en continu, avec un fil conducteur; puis le mot par l’image, accepter l’idée que l’image l’ait emporté, l’envie de baisser définitivement les bras, ne plus désirer changer le monde. Et maintenant? se demande Gary.
Précurseur de la nouvelle littérature ou maudit, il arrête de penser, la chaleur devient surnaturelle, Gary se retrouve au bord de la folie, traqué de toute part, et sans plus aucune intimité. La fin s’annonce, rapide, implacable, et la téléréalité est, plus que jamais, présente, autour d’un acte sacrificiel attendu puis digéré par la foule. Dans Un écrivain, un vrai, Pia Petersen questionne, met en scène un avenir pas très lointain qui nous donne envie de continuer à lire et d’avoir le choix de nos livres, très longtemps.