Un livre sur le fantasme d'une vie

CHRONIQUES LITTÉRAIRES
Sansfin
Janvier 2010

Pia Petersen, un nom que l'on n'oublie pas, ses mots sont des empreintes et nos pas avancent à tâtons à chaque page que l'on tourne comme si nous tenions un flambeau. Une femme solitaire observe de sa fenêtre la vie des autres, elle s'immisce dans celle d'un homme pour croire qu'il existe des miracles.

Un livre sur le fantasme d'une vie, sur l'imagination qui exulte parce qu'il faut bien se procurer du plaisir pour échapper au chaos. Il y a ce qu'on est et ce que les autres font de nous.Ce personnage cherche une place sur cette terre, elle essaie de s'habituer à avancer sans les autres, elle est attachante par sa réflexion et sa détresse. On est maintenu avec elle au-dessus du vide et on a peur de ce qu'elle va voir, de ce qu'elle va découvrir, de ce qu'elle va croire.

Un livre sur la solitude, sur un fléau de société où l'amour a perdu des plumes à l'endroit des promesses où l'on devient vite quelqu'un d'autre. Une écriture sobre, vertigineuse comme une musique entêtante qui répond au silence.

De la très belle littérature. Pia Petersen a beaucoup de talent.

Extraits du roman:

Je me dis que c'est dur de découvrir sa propre solitude.On peut l 'oublier et j'y arrive presque tous les jours en m'inventant des subterfuges mais parfois le passé débarque, c'est quand je baisse la garde qu'il vient et me saute à la figure et là, c'est un vrai coup dur et ça me renverse. Il faut du courage pour vivre sans espoir de tendresse.

Je parie qu'ils doivent être nombreux à être seuls mais qu'ils ne le savent pas, ils ne s'en sont pas rendu compte et ils ont bien de la chance. La solitude est tellement plus supportable quand on ne sait pas qu'elle est là.

On n'est pas obligé de montrer ses faiblesses et c'est mal vu,d'être seul,c'est en quelque sorte ne pas être parfait et tout le monde veut la perfection et pour ça il faut être sollicité,avoir beaucoup d'amis et moi,je n'en ai pas,alors je prends tout ça en considérant et fais comme si j'avais beaucoup de travail et n'avais besoin de personne.

Faut savoir se libérer de la nostalgie, c'est ce que je me dis mais on ne fait pas forcément tout ce qu'on veut.

Mon contenu de vie se résume à une fenêtre et faute d'avoir une vraie, je vole celle des autres. Celle de l'homme en face. Luca. Je l'épie, l'espionne, je vis avec lui et il ne le sait pas, il n'en sais rien et pourtant il me sauve de ma solitude et il donne un sens à ma vie, un peu d'amitié et une possibilité de rêver et où est le mal ? Pourtant, si on savait, on dirait sans doute que je suis malsaine ou folle ou quelque chose comme ça. Un voyeur. Je me rends coupable de voyeurisme et ça, c'est justifié seulement si ça passe par les médias ou par le net ou par les caméras dans la rue, là on dit que c'est de la télé-réalité ou de la surveillance et du maintien de l'ordre, mais moi je suis coupable de voyeurisme et je vole la vie de l'homme en face qui n'en sait rien.

Parfois,il faut se supporter. Je vais dans la cuisine et ouvre le frigo et sors une bouteille et je la vide presque d'un seul coup puis je danse avec ma solitude, la bouteille dans mes bras, je me dis qu'on est amoureux et j'ai le droit d'y croire, non ? Il faut bien croire en des choses. Sinon, il reste quoi ? Il le saura un jour que je l'aime puis je tombe et c'est le black-out.