Un roman déjanté
où l'on s'amuse beaucoup
ENCRES VAGABONDES
Dominique Baillon-Lalande
Avril 2012
C'est ainsi que tout commença, avec un livre et un chiot. Hugo, ancien policier devenu garde du corps et homme de main d'Esteban depuis plusieurs années, voit sa vie basculer au moment où un vieux prêtre alcoolique, accoudé au même comptoir que lui, fourre de force dans sa poche Don Quichotte et que peu après il récupère dans un parking le chiot dont il vient de tuer le maitre pour non règlement d'une dette.
Esteban, riche et puissant patron d'une grande multinationale, imposait ses propres règles et n'appréciait pas qu'on se mêle de ses affaires. D'ailleurs, il n'était que rarement inquiété et quand cela arrivait, Hugo arrangeait les choses au mieux.
Hugo est assisté dans ses fonctions par Boris, un ex-mercenaire venu d'un pays de l'Est, qui guette ses moindres défaillances pour prendre sa place dès que l'occasion s'en présentera. Mais Hugo était jusque-là un employé obéissant, consciencieux et efficace, un homme de devoir payé pour éliminer les gêneurs le plus discrètement possible, sans peur et sans état d'âme.
Hugo aimait la sécurité, savoir ce qu'il ferait le lendemain le rassurait. Il aimait l'ordre. Chez lui, tout était organisé avec logique et méthode, ses chemises étaient classées selon leur couleur et ses chaussettes pliées. […] Hugo ne se voyait pas comme un homme mauvais. Il travaillait pour Esteban, un contrat était un contrat et il respectait ses engagements. Rien que ça.
Mais, depuis que la lecture l'a converti à l'idée de faire le bien autour de lui et décidé à devenir un homme de mérite, son entourage professionnel sent quelque chose qui lui échappe et s'interroge. Encore heureux qu'ils ne l'aient pas vu entrer à l'église pour se confesser au curé dipsomane qui ne croit plus ni en Dieu ni en l'homme et s'applique méthodiquement à noyer sa dérive dans le whisky. Si, face à tous, Hugo effectue ses missions avec autant de zèle qu'auparavant, il le fait dorénavant en compagnie de Bion, le chiot qu'il a adopté, allant jusqu'à le prendre dans les bras quand celui-ci donne des signes de peur ou de fatigue.
Autre nouveauté: il ne sort plus son arme sans raisonner au préalable la victime, tentant de résoudre les conflits à l'amiable par la parole.
Il y a beaucoup de sagesse dans les mots. On voit le monde différemment." Une technique qui s'avèrera peu adaptée à sa fonction et assez décevante. "Hugo n'était plus très fiable depuis qu'il avait fait l'acquisition d'une conscience.
C'est le moment que choisit une bande de hackers, nommée Vendredi 13, pour s'infiltrer dans les fichiers et les comptes du patron ultralibéral qui a ses entrées à l'Élysée comme dans la mafia, pour récupérer ses dossiers secrets et ponctionner une grosse somme d'argent. Le boss, désarmé face à ce type d'attaque qu'il ne maitrise ni ne comprend, est furieux.
Esteban détestait quand on essayait de le rouler. Les gens pensaient qu'à la tête d'une grosse entreprise, il n'avait pas un contrôle réel sur ce qui se passait mais ils se trompaient. Il surveillait absolument tout. C'était la base de sa réussite […] Savoir donnait du pouvoir. Il se considérait comme un socle fondamental de la société et il attendait la privatisation de l'État avec impatience.
Eric, le responsable informatique de l'entreprise, est donc chargé d'identifier rapidement les coupables. Hugo et Boris, auront ensuite à les pister pour trouver à l'ancienne tous les renseignements nécessaires au patron pour régler l'affaire à sa façon: négocier dans un premier temps, éliminer ou pas, ensuite.
Draker, Léonard, Robin et Élise, jeunes surdoués en informatique et militants à divers degrés contre le capitalisme sauvage, quand ils s'étaient rendu compte de l'étendue de leur pouvoir, avaient appris à s'organiser pour attaquer, solitaires mais liés par la toile. A cet instant, ils sont fiers de l'exploit réalisé. L'argent détourné, juste retour des choses pour des gains issus d'un trafic de faux médicaments, à été reversé à des ONG et pour les dossiers mis à l'abri, c'est ensemble qu'ils décideront de leur avenir. S'apercevant qu'ils sont traqués, ils fixent une réunion à leur QG, dans le bar enfumé de Maud...
Le combat entre cette poignée de jeunes idéalistes, naïfs et inconscients, adeptes de l'hacktivisme politique, et ce patron-bandit décidé à tout pour récupérer ce qui lui appartient, paraît fort inégal mais c'est sans compter sur la candeur désarmante des uns, l'assurance prétentieuse des autres et surtout, les dégâts imparables que peuvent produire un curé hors normes, un tueur repenti et maladroit et un philosophe égaré dans un huis-clos alcoolisé et explosif...
Le chien de Don Quichotte est un roman déjanté où l'on s'amuse beaucoup. L'auteur y joue à foison des stéréotypes et des clichés. Les péripéties s'enchainent à un rythme accéléré. Monologues et dialogues sont truffés d'humour et si, comme Hugo lui-même, les personnages du clan Esteban ou des V13 sont pareillement caricaturaux, l'auteur parvient tout de même à leur donner suffisamment d'épaisseur pour que nous les suivions jusqu'au bout de ce jeu de massacre. Le curé le dit souvent: rien à sauver.
Si les morts et les péripéties se multiplient, ce roman noir – qui n'en est peut-être pas un – ne vaut pas par un quelconque suspense mais par la façon originale dont Pia Petersen met en images et en situation la société actuelle. L'auteur s'y livre à un numéro d'équilibriste entre noirceur absolue et comédie, se maintenant à la surface des choses pour éviter d'être englouti dans les profondeurs de l'ultralibéralisme sauvage esquissé ici à grands traits.
Les tableaux s'enchainent vite et le tout se termine sur un air de Grand-Guignol complètement délirant. On est dans la caricature la plus complète mais cette fable déjantée, nourrie d'un cynisme ravageur et violent et d'un désespoir absolu, pointe l'absurdité du monde avec brio et parvient à la fois à nous en faire rire et nous inquiéter.
Une belle réussite de plus dans cette collection, décidément pleine de trouvailles, qui ne se prend pas au sérieux.