Pia Petersen une femme libre
FNAC
Camille Plaisance
Avril 2014
Dans Instinct Primaire son dernier roman sorti en fin d'année dernière, la romancière Pia Petersen, en belle insoumise, nous met face à nos conventions. A travers la chronique de ce livre, je voulais aussi mettre en lumière cette collection Les Affranchis créée et dirigée par Claire Debru chez NIL éditions regroupant des ouvrages qui ont pour thème la lettre.
Celle qui reste au fond de nous, celle qui dort, celle qui nous empêche de dormir, celle qui appelle les mots sur le papier, celle qui nous pousse dans nos retranchements et qui parfois nous fait baisser les armes pour enfin dire-écrire les mots justes, les mots vrais.
On a tous au fond de nous ou dans nos tiroirs une lettre finie ou inachevée que l'on n'a pas envoyée.
Au début du livre la collection est présentée en ces mots:
Quand tout a été dit sans qu'il soit possible de tourner la page, écrire à l'autre devient la seule issue. Mais passer à l'acte est risqué. Ainsi, après avoir rédigé sa Lettre au Père, Kafka avait préféré la ranger dans un tiroir. Ecrire une lettre, une seule, c'est offrir le point final, s'affranchir d'une vieille histoire. La collection Les Affranchis fait donc cette demande à ces auteurs: Ecrivez la lettre que vous n'avez jamais écrite.
La forme de ce texte est l'une des plus belles de la littérature. La lettre est intime, personnelle et à la fois d'une grande générosité. Elle est faite pour partager, donner, dire l'indicible par des mots posés sur le papier.
Avec Instinct primaire voilà une femme qui écrit une lettre à l'homme qu'elle a aimé (et qu'elle aime encore malgré son départ). Un décor: une église, un autel, des invités, tout paraît parfait. Une église, un autel, des invités, et une mariée qui n'arrive pas jusqu'à l'autel.
Dans ce livre-lettre d'une puissance intime, Pia Petersen s'explique. Elle donne dans un discours raisonné et sans appel son avis sur la vie… sa vie et ce qu'elle veut en faire. Car c'est bien chacun de nous, après tout, qui est maître de sa vie et de ses envies. Pour ne pas céder à la pression des conventions, pour vivre comme elle l'entend sans se soucier des autres, il lui faudra être forte et résister.
Ce qui est terrible c'est qu'on a beau dire que le regard des autres ne compte pas, on ne peut pas s'y soustraire, on le sent sur soi et ce regard nous enferme dans une vision du monde si étroite que l'on a du mal à respirer.
Il est hors de question de vivre avec des regrets rien que pour rassurer des gens qui n'ont pas le culot de vivre.
Cette lettre adressée à cet homme prend rapidement le chemin du discours et de l'affirmation de soi. La narratrice nous fait réfléchir et prend position sur des questions bien établies dans nos sociétés.
Comment se définit-on?
Qui est-on vraiment?
Quelle est la distance entre ce que nous pensons de nous, nous voulons être et ce que la société, les gens nous renvoient?
Une femme peut-elle être entière, se réaliser sans enfant?
Pia Petersen fait voler les certitudes en éclat et affirme (à raison) que la femme – au même titre que l'homme - se définit en tant qu'être humain avant tout; et non dans son désir absolu (et obligatoire à priori) d'enfanter et/ou de se marier.
Et on le dit encore, ne pas enfanter est un acte d'égoïsme
Je ne supporte plus d'être limitée à la maternité. C'est aussi ma liberté d'écrivain qui est en jeu.
Moi je dis que la femme devrait penser plus avec son cerveau qu'avec son utérus.
Pia Petersen revient sur son métier d'écrivain et sa liberté à créer. Elle ne veut pas être réduite à son statut de possible épouse ou mère. Elle ne veut pas se marier et ne veut pas d'enfant. Elle ose le dire et les femmes en face lui renvoient comme une seule voix leur incompréhension. Et pourquoi serions-nous toutes faites sur le même modèle? Et pourquoi ne pourrions-nous pas décider au-delà des conventions de prendre la liberté de dire non et de l'affirmer?
En mêlant dans ce texte histoire intime et discours d'idées, Pia Petersen touche à l'essence-même de ce que doit être la lettre. Un mélange d'idées complexes et suivies. Un discours qui se veut universel et qui touche l'intime du destinataire.
Dans une écriture touchante et un propos toujours alerte, elle nous amène à réfléchir sur notre propre histoire et à nous positionner par rapport à un discours pas toujours des plus fédérateurs.