Le jeu de la facilité
Galère! Suffit! Il faut tout recommencer. Toujours. Pourquoi que c’est comme ça? La vie, c’est de la merde dans laquelle on marche tous les jours. Ça suffit. Il était piégé. Comme un rat. Dehors les flics l’attendaient. Ferme ta gueule et rends-toi! Il n’entendait que ça. Depuis toujours. Il n’y avait pas beaucoup d’imagination là-dedans. C’était toujours la même chose.
Il vérifia son revolver. Avec soin. Instinctivement. Il était bien à lui. C’était sa propriété. La seule qu’il avait. Se rendre? Ne jamais se rendre! C’était sa devise. La seule qu’il avait. Fermer sa gueule… Mais il ne l’avait pas encore ouverte. Attends le jour où il allait l’ouvrir. Vous verrez. Ce jour-là, ça sera moche, très moche. Tout serait différent. Rien ne sera pareil. La grande blague.
Le revolver cracha. Deux fois. C’était suffisant. Dehors il y eut du remous. Attention! Il tire! Il est armé! Il est dangereux! Ça oui. Vous allez voir. Je vais ouvrir ma grande gueule. Vous allez tous mourir. La haine. Il n’y avait que ça. Pas d’amour inversé. Non, la haine. Toute seule. Que ça. Une haine qui s’éclatait. Tant mieux. Au moins il y avait ça. C’était mieux que rien. C’était comme le vide. Il ne l’aimait pas non plus. Même, il le détestait. Y avait-il quelque chose après la mort? Question. Sûrement que oui. Ça ne pouvait pas être le même vide. Pas le même rien. Ça serait trop. Non. Il y avait sûrement quelque chose. Comme un paradis pour les paumés. Il en était un, de paumé. Un paradis pour lui et des comme lui. C’était certain. Il faut tout recommencer. Toujours.
Il glissa le canon du revolver dans sa bouche. Assez! Il en avait assez. Un seul coup. Puis plus rien. Il n’était plus là. La mort, il n’y avait que ça.
C’était fini, tout était fini. Il en avait pris pour quinze ans. Ferme. À vie pour lui. Quelle galère. Quel merdier. Des connards, il les détestait. Mais le temps allait passer vite. Il s’en occuperait. Personnellement. Ils allaient le sentir passer.
Fallait pas longtemps pour apprendre à le connaître. Il allait leur montrer qui il était. Des cons, tous.
Quinze ans. C’était une éternité. Une longue éternité. Mais il avait écopé moins qu’il ne l’aurait cru. Heureusement qu’il avait fait confiance à son avocat. Il savait s’y prendre, celui-là.
Victime de la société. Enfance malheureuse. Moment de folie. Tu n’es pas responsable. N’oublie pas, coupable, mais pas responsable. Le responsable, c’est la société, pas toi.
Il était fort, son avocat, il les avait tous fait pleurer. Le jury. Les journalistes. Même le juge était ému. Irresponsable. Pas responsable. Bonne découverte, celle-là. Il était une victime. Il n’avait rien fait. Lui, Éric, voulait simplement l’aider. La pauvre, elle était malheureuse. Elle lui manquait. Ils pensaient à ça, tous ces tarés qui l’avaient jugé? Qu’elle lui manquait? Qu’il se sentait seul? Qu’il souffrait? On ne devait pas l’enfermer. C’était pas juste.
Il n’avait rien fait. Il voulait juste l’aider. Ça ne compte pas, ça? L’aide? Mail il avait eu un grand blanc. C’était tout. Il n’en savait pas plus. Le psychologue lui disait qu’il l’avait refoulé, son crime, qu’il ne le supportait pas. Quelle ordure, celui-là, qu’est-ce qu’il en savait? Refoulement? Quelle blague!
Faisait-il beau dehors? Peut-être qu’il pleuvait? De toute façon il s’en foutait. Là où il était il ne voyait rien. Rien du tout. Fini! Pour lui c’était fini. Quinze ans à tirer. Enterré pendant quinze ans. Avec des assassins. Des voleurs. Des violeurs. Des abrutis en tout genre. Lui, il n’avait rien fait. Il avait juste eu un blanc. Le reste… c’était du passé. Maintenant. On avait pris en compte qu’il voulait l’aider. Heureusement. Quelle bande de salauds. Ils n’avaient rien pigé. C’était sa révolution, à lui. Il était un révolutionnaire. Les opprimés contre les forts. Ça se respectait, ça. Il n’était pas un assassin. Il était une victime. Victime de leur société de merde. Il avait eu un blanc. Il avait tiré sur quelques personnes. Et alors? Une perte de contrôle. Voilà tout. Pas de quoi s’exciter. De toute façon on était surpeuplé. Tout le monde le disait. La crise. Le chômage. Plus de place pour personne. Il n’avait fait qu’aérer l’espace. Une goutte d’eau dans l’océan. C’était tout. La révolution avait ses morts. C’était tout. Puis, ça l’avait mis en colère quand il l’avait vu là. Dans le placard. Pas jolie. Elle était toute bleue. C’était une vengeance. C’était leur faute. À eux.
Quand est-ce qu’on allait le ramener? Il en avait marre de rester là. Assis. À attendre. On pouvait avoir un peu plus de respect pour lui. Il n’était pas un assassin. On n’avait pas le droit de le traiter comme ça. Il n’avait rien fait. C’était son malheur qui était la cause de tout. Pas lui. Il fallait comprendre.
Pourquoi ne le ramenait-on pas? Pour qui on le prenait? Pour un vulgaire loubard? Mais il était un révolutionnaire, lui. Il voulait la sauver. D’elle-même. Le reste… Un accident. Ce n’était rien d’autre qu’un accident. Il n’avait rien fait. On devait le libérer. Quinze ans. C’était long.
Mais ils étaient tarés ici! Pourquoi on le laissait là? Il n’était pas un animal. Des connards, tous. Il les détestait. Tous. La haine. Ils allaient bien, eux. Pas de problème. Pas de soucis. Ils étaient bien fringués. La voiture attendait dehors. Il n’avait pas de voiture, lui. Il était obligé de frauder dans le métro. Il puait, le métro. Puis, il y avait des zonards. C’était dangereux, le métro. Mais qu’est-ce qu’ils en savaient, eux?
Il était une victime de la société. Eux, non. Les femmes étaient maquillées. Classe. Des jupes courtes. Vestes assorties. Des chaussures à talons. Des sacs à main dans le ton. Laurence, elle n’avait pas tout ça. Les hommes trimballaient leur téléphone portable. Leur mallette aussi. Ils étaient habillés avec style. Un peu négligé. Ça faisait riche. Ils n’avaient pas de problèmes avec l’argent, eux. Il les détestait. Tous. La haine. Il les haïssait.
Ils l’avaient jugé? Pour qui se prenaient-ils? Pour des dieux? C’étaient des fils de pute. Des fils de pute habillés avec des costards et tout, chaussures brillantes, cravates impeccables. Il fallait tous les éliminer. C’étaient tous des salauds riches. Ils avaient de l’argent. C’était pas juste. Pas l’ombre d’un problème. Il fallait rendre justice. À lui qui payait à leur place. C’était leur faute. Qu’il soit là. Pas sa faute à lui. Il avait bien fait. Qu’on lui donne un flingue. Ils allaient voir. Les tirer comme des lapins. Ce n’était que justice.
Hé enflure.
Le flic se retourna. Vint vers lui. La mine menaçante.
Hé gros porc de nazi… je vais rester là toute la nuit?
Le flic le regarda. Il ne dit rien. il sourit.
Combien de temps allait-il rester là, attaché au radiateur? Il n’était pas un animal. Il posa la question au flic. Qui ne répondit pas. Pourtant il était poli. Il ne parlait pas comme ses potes. En plus il n’avait pas l’accent. Il ressemblait à un représentant. Il était différent d’eux. À part. Un marginal. C’était ce qu’avait dit le psychologue. Un marginal. C’était un beau mot. Plein de rêve. De poésie. Il n’était pas comme les autres. La souffrance. Il avait souffert, lui. Pas comme les autres. Et il s’était éduqué. Le français n’avait pas de secret pour lui.
T’es un sale raciste de merde!
Le flic ne disait toujours rien. Il regarda sa montre. De nouveau. C’était une obsession, ça. C’étaient tous des nazis, des fachos. On lui en voulait. Ils savaient qu’il avait des origines arabes. De quel pays, il ne savait plus. C’était il y a plusieurs siècles. Mais ils le savaient. Ils avaient tout ça sur ordinateur. Ils lui en voulaient. C’était pour ça qu’il allait en prison. Parce qu’il avait des origines arabes. Mais il n’avait rien fait. Il était une victime. Pas responsable. S’il n’avait pas eu des origines arabes on l’aurait traité différemment. Sûrement. Avec plus de respect. Qu’avait-il fait? Rien! Pas grand-chose. Elle était morte. Voilà tout. Quelques passants. Aussi. Voilà tout. Et alors? Ils n’avaient rien vu. Pas encore. S’ils savaient de quoi il était capable… Il le savait, lui. Il leur montrerait… un jour…
Ils devraient tous porter des baskets. Comme lui. Égalité. La vraie égalité. Pas comme leur démocratie bidon. Où il y avait des riches. Des gens qui allaient bien. Qui aimaient la vie. Qui aimaient vivre. Ce n’était pas de l’égalité, ça. Tricherie. C’était du mensonge pur, la démocratie. Qu’est-ce qu’il avait, lui? Rien! Pas d’égalité, nulle part. Il n’aimait pas la vie. Ça l’emmerdait de vivre. Pas cool. Trop de merde. Trop de gris. Trop de noir. Pourquoi vivre? Pourquoi faire? Pour les servir? Ceux-là qui l’avaient jugé? Cette société qui avait triché? Il n’avait rien, lui. Pas de costard. Pas de voiture. Pas de travail. Pas d’argent. Pas assez d’argent. Il fallait plus. Qu’avait-il à foutre de la vie? Elle ne lui donnait rien. Elle était radine. Il avait beaucoup attendu. Qu’elle lui offrît de jolies choses, une autre existence. Rien. Elle n’avait rien fait, la vie. Quelle triste chose, la vie. Elle lui avait tout refusé. La salope.
Il était là comme un con, attaché à un radiateur. Il regardait les cafards. Quelques-uns filaient devant lui. En vitesse. Ils allaient se planquer. C’était dégoûtant, un cafard. Écoeurant. Abject. Il les haïssait, ces bestioles. Comme l’homme en général. Abject. La seule chose qu’il n’ait jamais aimée, c’était Laurence. Elle n’était plus là. Avec lui. La belle histoire. La pauvre. Pour eux, il n’était qu’un cafard. Quelque part dans l’ombre. Une petite bestiole noire. Attirée par la saleté. Comme lui. Le cafard craignait la lumière. Il se planquait dans les fissures. Comme lui. Dans les fissures de la société. Dans les poubelles. Dans les chiottes. Pas regardant quand ça n’allait pas. C’était laid, un cafard. Ça faisait peur. Ça grouillait toujours là, quelque part dans l’ombre. À attendre. À attendre le bon moment pour sortir. Comme lui. Il n’était qu’un cafard. Eux, ils désinfectaient. Un coup d’insecticide. Mais ça ne suffisait jamais. Alors ils pratiquaient l’extermination. Ils appelaient ça du nettoyage. Mais les cafards revenaient toujours. Puis ils bouchaient les trous, les fissures. Comme ça, ils ne les voyaient plus. Et leur merde restait cachée. La prison, c’était pareil. Une fissure. Une poubelle. Un garage à cafards. Un vide-ordures. Pour les cacher, les hors-la-loi. Pour les oublier.
Ce n’était pas juste. D’enfermer, comme ça, les gens. Pour qui se prenaient-ils? Pour des dieux? Avec un droit de vote sur la vie et et sur la mort? Ils avaient le droit de décider de son sort? De sa vie? Au nom de qui? Au nom de quoi? Et s’il aimait tuer? Violer? Voler? C’était un droit, ça, non? Un droit d’exister. On avait le droit d’être. D’être soi-même. Mais ils l’avaient jugé. Quinze ans. Jamais il n’allait en ressortir. Il allait crever en prison. Comme un vulgaire cafard.
Le flic approcha. De nouveau. Il ne pouvait pas l’oublier un peu? Aller jouer ailleurs? Il était gras, ce flic. Gros et il puait. La sueur. L’urine. Basait-il? Normalement? Il devait aimer les petits garçons. Comme tous ces tordus qui gouvernaient le monde.
Tes parents sont là. Ils veulent te voir.
Le flic le tutoyait. Pour qui se prenait-il? Il n’aimait pas le tutoiement. Pas de respect là-dedans. Comme s’il était une merde. Un vulgaire assassin.
Les vieux. Encore eux. Ils avaient chialé durant tout le procès. La belle histoire. Émouvant. De la chiure, oui. Ils s’en foutaient, de lui. Ils étaient là pour être vus. Se sentir important. Pleurer devant les caméras. Comme ça le vieux pourra frimer et raconter des histoires. Montrer ses connaissances dans sa banlieue pourrie.
On ne lui avait pas demandé son avis. Rie du tout. Il n’avait pas envie de les voir. Du tout. Son père, il le détestait. Ce n’était pas son père. Heureusement. Il était là, le vieux. Avec son gros bide de camionneur. Descente d’organes, qu’il disait, le vieux.
Sa bite pendait sûrement entre ses cuisses humides. Mou. Travaillait mal. C’était pour ça qu’il violait la mère. C’est qu’il était abject. À éliminer. Un vieux dégoûtant qui s’y croyait.
Les voilà, les vieux. Toujours aussi pitoyables. Avec leur dégaine de banlieusards qui vont en ville. Ils respiraient le raté.
La vie ratée. Des loosers. Des misérables. Des moins que rien. Des cafards, eux aussi. La mère pleurait. Ne savait rien faire d’autre. Peut-être jouissait-elle avec ça, les larmes? Et c’était sa mère? Cette vieille loque? Quelle honte. Normal qu’il soit une victime. Avec des vieux comme ça. Il aurait pu être autre chose. Vivre autre chose.
Les parents d’Éric le regardaient. Il n’avait pas l’air en forme, le fils. Pas en forme, du tout. Pâle. Fatigué. Mal rasé. Le pauvre. Il allait en prison. Pour quinze ans. Jamais il ne s’en sortira. Il allait mourir là-dedans. Avec sa maladie. Peut-être y avait-il des médecins en prison? Sûrement. L’état faisait beaucoup pour les prisonniers. Depuis quelques années il avait le Sida. Ça ne pardonnait pas. C’était la mort assurée. Quelle saloperie de maladie. Ça devrait être interdit. C’était leur faute, à eux. À la société. Il n’y pouvait rien, Ricco. Maintenant il allait en prison. Pour quinze ans. À vie pour Ricco. Quelle misère. Mais il s’était bien débrouillé, Éric, au tribunal. Comme un chef. Depuis toujours il était humaniste. Il s’occupait des autres. Aidait les jeunes dans les associations culturelles. Leur apprenait à être correct. À s’exprimer. Avec l’art. C’était un artiste, Éric. Il avait du succès. Un grand avenir devant lui. Il leur avait bien montré, à eux, leur merde. À ceux qui l’avaient jugé. Leur société injuste. Maintenant elle était morte, Laurence. C’était bien triste. Elle était gentille. Mais sa mort avait servi la bonne cause. Celle des opprimés. Les victimes. Elle avait permis à Éric de prendre la parole. De parler d’elle. Et des comme elle. Oui, c’était un humanist, Éric. Un vrai révolutionnaire.
La mère d’Éric s’approcha de lui. Elle voulait le voir de plus près. Il ne les regardait pas. Il était toujours comme ça. Difficile. Renfermé. Comme tous les génies. C’était son préféré, Ricco. L’aîné. Le fruit de l’amour. Son premier amour. Il ressemblait à son père. Mort depuis longtemps. Elle était toujours émue quand elle le regardait. Elle voyait son son premier amant. Celui qui l’avait rendue heureuse. Elle était jeune à l’époque. Étourdie. Sans penser au lendemain. Enfin. C’était comme ça. Il y avait la réalité. La mère d’Éric avança la main. Une main vieille. Desséchée. Fatiguée. Lasse. Lasse du travail. De la vie. Elle lui caressa les cheveux. Elle aimait beaucoup ça. Il ressemblait à son père. Un vrai combattant. Avec de l’allure.
Éric secoua la tête. Violemment.
Fous-moi la paix, vieille salope.
Elle recula. Triste. Il était si violent, son fils. Si compliqué. Jamais content. De rien. Il devait souffrir. Beaucoup. Et elle n’était plus là, Laurence. Pour l’aider. Il l’avait toujours aidée, Ricco. Avait tout fait pour elle. L’impossible. Maintenant il allait en prison. Pour quinze ans. Comment allait-il s’en sortir? Il était si fragile. Comme tous les grands de ce monde. Il en faisait parti des grands.
On est là si tu as des problèmes en prison. On viendra te voir.
Sa voix résonnait dans le vide. Elle n’aimait pas le son de sa voix. Elle était un peu timide. Elle rougissait de temps en temps. C’était son fils. Elle ferait n’importe quoi pour lui.
Le beau-père d’Éric ne lui dit rien. Il en était débarrassé comme ça. C’était une petite frappe, le fils. Vrai de vrai. Un petit branleur. Un assassin. Malade. Le Sida. Normal. Ricco se droguait. Depuis qu’il était jeune. Ainsi va le monde. Lui, le beau-père d’Éric, était philosophe. Un sage. On prend la vie comme elle vient. Il n’avait rien compris, Éric. Bon débarras. Au moins on savait où il était. Il coûtait moins cher comme ça. Il fallait penser aux finances. Les temps étaient durs.
Éric était content que le vieux ne dise rien. Tant mieux. Il valait mieux. De toute façon il ne savait que le battre. Pour ça il était champion. Depuis tout petit, il l’avait battu, Éric. Et violé sa mère. C’était un vieux dégueulasse.
Laisse-moi tranquille.
Fous-moi la paix.
Vraiment bien qu’il ne dise rien, le vieux. Heureusement pour lui qu’il soit attaché. Il l’aurait tué. Sec. Sans regret. Il le méritait. C’était une sale crapule. Vicieux. Comment il avait lorgné Laurence. Il la mettait mal à l’aise. Elle ne voulait jamais être seule avec lui.
Le flic s’approcha de nouveau.
Il va partir dans quelques instants.
Sa mère l’embrassa. Elle était mouillée, sa bouche.
Ne me bave pas dessus…
C’était répugnant quand elle l’embrassait. Malsain. Il avait ça en horreur. Quand elle se montrait maternelle. C’était une vieille salope. Il l’avait bien observée. Quand il était nu, elle était toujours là. Quelque part. Il la voyait dans le miroir. Comment elle le regardait. Elle n’en perdait pas une. Frémissante de désir. Il aurait pu la sauter. Elle n’aurait pas dit non. Répugnant. Une vieille peau comme ça. Avec des seins qui pendaient. Des fesses ridées. Elle était conne. En plus. Il fallait quand même le faire.
Supporter son mari. Qui la violait, dans la cuisine, sur la table. Il la coinçait là, enlevait son slip et la bourrait. Jusqu’au blanc des yeux. C’était dégoûtant. Elle devait aimer ça. Et il ne se gênait pas, le vieux. C’était souvent devant les mômes. Ça l’excitait. De temps en temps il chopait la petite soeur. Pour lui pincer ses petits seins. Qui commençaient à naître. Il les pinçait en même temps qu’il la sautait, la vieille. Avec ses grosses mains de camionneur. Puis il gueulait, comme un porc. De plaisir. La vie de famille.
Ils savaient ça, les dieux de la société? Ils avaient vécu ça, ces fils de pute? Il avait beaucoup souffert. De honte. D’avoir des parents comme ça. Maintenant il allait partir. Pour la prison. Sa tombe. Pour mourrir avec les cafards. Tant mieux. Vie de merde.
Mort de merde.
Les flics arrivaient, ils étaient nombreux.
Debout, ordure…
La prison était grise. Comme tout le reste. Comme toute sa vie. Gris sale. Les prisonniers avaient de sales gueules. Terreuses. Grisâtres. Des assassins. Des voleurs. Des violeurs. Des types pas fréquentables. La Cour des Miracles, nouvelle édition, enfermée entre quatre murs. Il n’était pas comme eux. Il avait eu des motivations pures. C’était indécent de l’enfermer avec des malades comme ça.
Maintenant, plus rien à faire. Il était là. Passivement. Son rôle à lui était fini. C’était mieux que d’être attaché à un radiateur. Ce passage, il ne l’avait pas apprécié. Il n’était pas un animal. Ni un monstre.
Beaucoup de bruits dans l’air. Partout. C’était le chant des brutes. Insupportable. Ils beuglaient des gravelures. Ils étaient de trop. Des animaux. Des fumiers. L’abolition de la peine de mort était une connerie. De garder tous ces malades dangereux en vie. Fallait être maso. Ou sentimental. Ou ne pas aimer la vie. Avoir une mauvaise conscience de bien vivre. Société de merde.
v Il n’était pas comme eux. Pas obscène. Pas malade. Il avait un but. Avant. ils allaient le découvrir. Qu’il n’était pas comme eux. Il les attendait. Voulait leur faire bouffer leur propre merde. Sa condamnation. Ils allaient la regretter. Juré. Même si ça devait être sa seule motivation. Au moins il en avait une, de raison de survivre. Plus rien depuis la mort de Laurence. Que la haine. La vraie haine. Pas celle dont parlaient si bien les intellos sentimentaux. C’était pas beau, la haine. Surtout la sienne.
Dans sa cellule il n’y avait rien. Que le nécessaire. Mieux que rien. Un lit rouillé. Une table. Une chaise. Des murs fissurés. Quelques graffiti. Des signatures. Ils étaient vraiment truffes ici. Signer. Laisser une marque dans un trou pareil. Des mots obscènes sur les murs. Ces bovins n’étaient pas des artistes. Pas constructifs. Pas comme lui.
Il avait vu le directeur. Un enculé. Le règlement était simple. Obéir. S’écraser. Se faire oublier. Se reconnaître comme le fléau qu’on était supposé être. Un fléau. Un blasphème. Un cafard. Un rat. Et lui, le directeur, il était quoi? Un ange? Pervers. Il se grattait tout le temps les couilles. Devait penser qu’il n’avait pas besoin de s’observer face à des crapules. C’était une tante. Devait se faire la moitié de la prison. En respectable citoyen. Avec ses petites couilles bouffées par les bactéries. À force de s’enfoncer dans n’importe quel trou du cul. Il fallait protéger son cul. face à la société bien pensante. Déjà la main du directeur lui fouillait la bite. Pour voir. S’il n’y avait pas des armes. Il avait repoussé sa main. Avec mépris. Il n’avait pas apprécié. Gare à toi, taré.
Le règlement, il allait le suivre. Sagement. Au pied de la lettre. Se faire oublier. C’était simple. Il n’avait plus envie de vivre. Ni de sortir. Mourir dans ce trou. En finir. la vie était un tas de fumier. Puant. Rien à obtenir. Rien à en arracher.
La cellule était trop petite. Pas moyen de se déplacer. Pas moyen d’oublier qu’on était en prison. Quatre murs qui l’observaient. Qui le narguaient. Qui le dominaient. Qui s’imposaient. Il fallait se déplacer avec la tête. Faire semblant d’être ailleurs. Dehors.
Son baveux lui avait promis de ne pas l’oublier. Son but était d’obtenir sa libération. À coup de pétitions. Avec des manifestations. C’était de la publicité pour l’avocat. L’occasion de montrer qu’il avait du coeur. Qu’il se souciait de ses clients. Qu’il n’était pas pourri. La blague. Depuis quelques mois Éric avait fait la Une des médias. Coup de pub. Payé par l’État. Il n’avait pas un rond. Pas de quoi payer un avocat. Tant mieux que l’État le prenne en charge. C’était quelque chose d’être une victime. Tout le monde s’occupait de lui. Parfait. C’était juste un rôle à tenir. Suffisait d’avoir une mine abattue. Des larmes de regret dans l’oeil. Avoir l’air incompris. Si seulement il l’avait connu plus tôt, ce système. Être victime. Personne ne lui avait jamais dit. Il aurait pu faire plein de choses avec ça. Du business. Pas de pot. C’était toujours pareil. Merde.
Son enfance avait été un cauchemar. Pour ça il était une victime. Pas responsable. Elle lui avait bien expliqué, la psychologue. Le rôle d’une victime. Les malheurs d’une victime. Surtout les droits. Il y en avait, des droits. Drôle de situation. Tuer, on le pouvait. Mais il fallait être une victime. Bien étudier son enfance avant. Être sûr d’entrer dans les normes préétablies. Comme lui.
Si seulement il pouvait se brosser les dents. Un goût de rouille dans la bouche. De pourri. Elle allait sûrement y penser, la vieille. Maintenant qu’il n’était plus là, elle pouvait mieux s’occuper de lui. Plus facile. Plus commode. Elle ne savait pas, non plus.
Elle ne savait jamais rien. Qu’il était une victime. Elle ne voulait pas l’entendre. Normal. Lui, à sa place, il n’aurait pas voulu, non plus. C’était sa faute, à elle et à son connard de mari. Et à la société. Le rôle du Bon Samaritain devait lui convenir, à la vieille pute. Sûrement qu’elle avait toujours rêvé de ça. Il l’exécrait. Elle était abjecte. Avoir accepté une vie comme la sienne.
Avec ce vieux porc dégoulinant de sperme, avec sa bite molle et son haleine de bouc.
Courir. Courir au loin. Ça, il en avait envie. Courir. Avant de mourir. Courir. Vite. Plus vite. À ne plus en pouvoir. Il se souvenait…
La peur le faisait courir plus vite. Encore plus vite. Il suintait la sueur. La chemise collait. Nylon pur. Fallait pas s’arrêter. Pas regarder en arrière. Aller vers l’avant. Courir plus vite. Il avait du mal à respirer. Le coeur faisait mal. Chercher une planque. Tout de suite. Mais il n’y avait rien. Pas encore. C’était un terrain vague. Vide. Plus loin, la planque. Le vieux était derrière lui. Un bâton à la main. Plus vite. Encore plus vite.
C’était le deuxième jour du vieux à la maison. Sa mère l’avait amené. L’avait installé. Là. Dans sa maison, à lui, Éric. Ils étaient mariés. Le vieux lui avait posé des questions. Sur l’école. Sur les minettes. Le vieux bandait. Il le voyait bien, le pantalon. Pervers. Il n’avait pas répondu. Déjà il le haïssait. La vraie haine. Celle qui n’a pas de synonymes. Ni d’analogies. Seul le mot haine traduisait la haine. À l’état pur.
Tu vas voir, salaud!
Le vieux avait pris un bâton. Rapidement Éric avait ouvert la porte. Ambiance malsaine. En moins de deux il était dehors. Dans le couloir. Long et nu et froid. Il avait pris les escaliers. Petit, mais rapide. Jeune, mais futé. Il cavala le plus vite qu’il pouvait. Le vieux le suivit. Obligé. En ascenseur le porc l’aurait perdu. Peut-être… on ne sait jamais… avec ce gros bide… une crise cardiaque… s’il tombait… Adieu, gros porc.
Le terrain vague était son terrain. Son royaume. Son lieue de repos. Là il tirait ses plans pour l’avenir. Là il fixait ses rendez-vous avec ses potes. Il le connaissait comme sa poche.
Des sacs de poubelles étaient jetés dans la boue. La décharge n’était plus très loin. Il se planqua là-dedans. Le vieux ne le trouverait jamais.
Il resta dans la décharge pendant trois jours. Se nourrissant de la pourriture. Se battant avec de gros rats. Le quatrième jour il rentra. Pour redécouvrir le bâton. Le vieux avait bu. Beaucoup. Pas de chance. À l ‘époque il était jeune. Il ne faisait pas le poids. Ne pouvait pas se défendre. Sa mère ne dit rien. Elle était inquiète. Mais elle ne voulait rien voir. Son visage était plein de bleus. De blessures. Depuis trois jours le vieux se vengeait sur elle. Parce qu’il s’était planqué. Quelqu’un devait payer.
Les voisins venaient souvent chez eux. Un vrai mélange. Des Africains. Des Arabes. Des Français. Des Turcs. Des Grecs. Des Yougoslaves. Des Roumains. Le monde entier était là. Chaque pays avait ses représentants dans la cité. Il détestait quand ils étaient là. L’air était étouffé. Enfermé. Trop peu d’espace. Trop d’odeurs. Trop de rires. Lui, il aurait fermé la porte. Sauf à la grosse Beur avec ses gros seins. Elle avait une grande gueule. On n’entendait qu’elle. Comment elle hachait les mots. Une scie à la bouche. Toujours un air de plaignante. Un tribunal à elle toute seule. Elle accusait le monde. Pour tout. Pour rien. Une manière d’être. Elle avait tout compris. Comment être une parfaite victime. Son appartement était tout petit. Elle avait enfermé toute une famille là-dedans. On ne savait pas d’où ils arrivaient, tous ces gens-là. Ils étaient nombreux. De temps en temps elle les sortait. Pour prendre l’air. Pour chercher l’argent. Elle était forte à ce jeu-là.
Il l’aimait bien. C’était la seule. Au moins elle savait se démerder dans la société. Et elle ne le touchait jamais. Ne lui caressait jamais les cheveux. Elle ne mangeait pas de porc. Elle avait raison. Elle ne se mélangeait pas trop. Ne touchait personne par peur du contact salissant. Était toujours en colère. Et elle ne l’emmerdait jamais.
Les autres. Les pauvres. Des crétins. Qui geignaient pour tout. Sans se faire payer par l’état. Des misérables. Des bouffons gémissants. Ils étaient toujours fourrés là. Pour voir le vieux. Pour l’entendre parler. Ses débilités. Les femmes attendaient sûrement qu’il passe sa grosse main entre leurs jambes. Il ne faisait pas dans le détail, le vieux. Mais il ne sauta jamais aucune d’entre elles. Pas capable. Pour cela il fallait violer. Il était lâche. Et toutes ses femmes avaient des maris. Qui venaient pour l’écouter, le vieux. Et pour lorgner les voisins. Il était le sage du coin. Le philosophe. Celui qui avait beaucoup voyagé. L’explorateur des grands espaces. Un Christophe Colomb. Un Marco Polo. Ceux-là n’étaient personne. Le vieux se trouvait plus grand. Le véritable aventurier.
Les autres venaient à la manne. Pour qu’il les conseille, qu’il dise la vérité. N’importe quelle vérité. Sa parole était parole de vérité. Il s’y croyait. Ils étaient à genoux devant lui. Pitoyables. Une bande de minables. Ils étaient fiers de lui. Le grand héros. Le vieux leur crachait dessus. Les insultait. Était grossier. Vulgaire. Menteur. Lâche. Méprisant. Ils en voulaient encore. Normal qu’il y ait une crise. Avec une bande pareille.
Il les haïssait tous. Des minables sans force. Sans volonté. Ne voyaient pas les choses en grand. Pas d’ambition. Des p’tits slips. Rien à faire. Quand les voisins étaient là, il partait. Dans un autre monde. Dans celui en bas, sur le parking. Il y avait les copains. Les poteaux de sa vie de merde. Ils étaient comme lui. Avec de la haine. En général. Ils crachaient. Sur la société, cette bête gluante et vampirisante. Ils condamnaient les parents. L’école. Inutile tout ça. Une perte de temps.
Ensemble ils descendaient au sous-sol d’un des immeubles. Changement de lieu toutes les semaines. Pour ne pas être découvert. Là, il y avait le rituel. L’oubli. Le plaisir. C’était toute une préparation. À chacun son tour. La colle à rustine. Super. L’excitation. De faire ce qu’on ne devait pas faire. Se mettre au travers des interdits. L’élu du jour ouvrait le tube. Sentait un peu l’odeur. Comme un vrai connaisseur. Puis il préparait un petit sachet plastique. Il vidait le tube dedans. Y mettait le nez, en colmatant bien autour. Et il sniffait. À faire tourner la tête. Le sachet faisait le tour. Chacun le prenait avec précaution. Ça calmait. On était mieux. Mais c’étaient des gamineries. Pas comme l’héroïne ou le crack. Ça, c’était autre chose. Mais toute chose devait avoir un début. La colle à rustine. On se disait différent. On remontait. L’escalier tournait. Infernal. On était prêt.
L’assistante sociale venait le voir au moins une fois par semaine. Elle était mollasse. Rouge et mollasse et boutonneuse. Elle venait voir ce qui se passait. Il n’allait pas beaucoup à l’école. Ça l’emmerdait. De temps en temps il y mettait les pieds. Pour voir ses potes. Selon l’assistante sociale il était un problème. Pas mal, ça, d’être soi-même un problème. C’était mieux que de n’être rien du tout. L’instit avait peur de lui. Bien sûr. Il ne l’aimait pas. L’instit déblatérait. Il ne faisait que ça. Accouchait des conneries.
pas la vraie vie, ça. Apprendre à lire, à écrire. Des dates historiques. Quel intérêt, la mort de Napoléon. Il était mort. Comme tout le monde, un jour. Géographie. Rien à foutre. Il était bien où il était. La Chine, tant pis pour eux. Mathématique. Suffisait de savoir reconnaître les billets, els vrais, les faux. Mathématique, une perte de temps. Des formules, quelle idée. Il fallait apprendre la vie. Autrement. Quelque chose d’utile. Sa culture, il pouvait s’en occuper tout seul. Comment gagner de l’argent. Et vite. Et beaucoup. Il n’y avait que ça. L’argent. Une bagnole. L’assistante sociale disait qu’il faisait peur à ses profs. Quoi? Il n’avait jamais rien fait. Quelques petites explications pour les notes. C’était rien, ça. Tout le monde portait un couteau. Ou un flingue. Obligé. On vivait dans un monde violent. La seule manière d’obtenir quelque chose était la fermeté. Le monde était têtu. Il fallait expliquer ce qui était bien pour lui. La fermeté ne faisait de mal à personne. Le système le voulait comme ça. Il l’aurait eu comme ça.
Puis, l’école était une perte de temps. Une arnaque. Il n’avait plus de temps à perdre. La vie l’appelait. Les grandes causes. Les grands de la cité lui avaient donné un travail. Sérieux et essentiel. C’était excitant. À leurs yeux il était quelqu’un. On s’occupait de lui. Le respectait. Il avait un rôle.
T’es Français, toi. Les flics ne t’arrêteront pas!
Direct au but, les Blacks. Enrôlé pour les petites affaires. histoire d’apprendre le métier. Un avenir s’ouvrait devant lui. Fini la vie de minable.
Maintenant il faisait partie de leur clan. Être avec eux. Être respectée. Être quelqu’un. Tout le monde avait peur d’eux. Même le vieux. Il ne le battait plus. S’acharnait plutôt sur sa mère. Il s’en foutait. Elle n’avait qu’à l’épouser. À chacun sa merde! C’était un dicton valable.
Apprentissage du métier! Vols de sacs à main, autoradios, bécanes. Aussi vol à l’étalage. Ça, c’était pour lui. Manger une petite boîte de foie gras valait mieux que le pâté pour chien que sa mère lui servait. Tous les soirs il leur apportait le butin. Lui, il se faisait la main. On lui filait un pourcentage. S’il se débrouillait bien, il pouvait monter dans la hiérarchie. Il travaillait pour ça. Plus marrant que l’école. Au moins il se sentait vivre. Et il obtenait quelque chose de concret. Palpitant.
Une fois, tout au début, il avait amené les grands au sous-sol. Le rituel les avait fait rire. La colle à rustine, quelle blague. Il avait honte. De lui. Et de ses potes. Il se sentait un moins que rien. Diminué. Il voulait leur respect. La colle à rustine finit définitivement dans un container à ordures. Fini les gamineries. Eux, ils avaient mieux. Du shit. Une petite plaque qui donnait le bonheur. Envie de rire. Leur rituel était plus vrai, plus complice. On lui apprit comment fabriquer un pétard. Puis comment le fumer. Le pétard fit le tour entre eux. Ils étaient comme les mousquetaires. Comme les doigts de la main.
On lui en filait un peu tous les jours. En prime. C’était bien, le shit. Ça ne faisait pas de mal. Pas d’effets après. Pas de mal de tête. Pas d’accoutumance. C’était un produit naturel. Très sain. Pas comme l’alcool. Il n’y touchait jamais. Suffisait de voir le gros porc. Le shit était mieux. Effet garanti.
Un jour il se fit prendre, la main dans le sac. Mais il était rapide. il prit la fuite. Se planqua dans des trous à rat. Dans les poubelles. Il mit quatre heures pour rentrer chez lui.
Mais le lendemain les flics débarquèrent. Avec l’assistante sociale. Il avait quatorze ans. On l’amena au poste, malgré les protestations de sa mère. Le vieux hocha la tête. Pas surpris. Le vieux l’avait bien prédit. Qu’il allait mal finir.
En punition il eut droit à six mois en Centre d’éducation surveillée. Le juge lui dit qu’il avait eu de la chance. Fallait pas recommencer. Il était jeune. Avait la vie devant lui. De quoi il causait? Quelle vie? La vie qu’il vivait n’était pas mal. Il avait des copains. Appartenait à quelque chose. Il fallait quoi d’autre? Devenir bourgeois? Il le voulait bien, ça. Mais qu’on lui en donne la possibilité.
Six mois. Parce qu’il avait quatorze ans. C’était avantageux d’être mineur. On ne lui fit pas payer la note. la vieille qu’il avait effleurée avec le couteau avait eu une crise hystérique après le procès. Elle gueulait comme pas possible. Une vieille névrotique. Sans plus. De quoi elle se plaignait? Elle n’avait rien. Elle était vivante. Malgré lui. Un moment il avait eu envie de l’achever. À coup de couteau. L’étriper. L’éventrer. La vider de sa vie. Elle était vieille. Inutile. Un parasite. De trop. Elle prenait de la place. Mais il n’avait qu’effleuré sa vieille carcasse fétide. Et elle pleurnichait. Fallait savoir ce qu’elle voulait. Peut-être qu’elle était déçue. Elle croyait peut-être qu’il allait la violer. Pas question de se salir. Pour qui elle se prenait? Une jeune femme? Baisable?
tant pis pour elle. Il aurait dû l’achever. Mais elle était là, névrosée. Et bien en vie. Quelle connerie il avait fait là. la prochaine fois, pas de pitié. Moins de problèmes comme ça. Personne pour dire qui il était. C’était plus simple. Vieille pute.
Centre d’éducation surveillée. Fliqué. Mais agréable. La bouffe servie tous les jours. On lui fit son éducation artistique. La culture s’approcha de lui. C’était la solution, la culture. C’est ce qu’ils disaient, les animateurs. Il ne l’avait jamais compris, ça. La culture. C’était quoi? Personne ne pouvait lui répondre. Vague. Mais ça branchait tout le monde. On ne parlait que de ça. La défense de la culture. Faire de la culture. Se battre pour la culture. La culture pour tout le monde. Et si l’on n’en voulait pas, de la culture?
Du matin au soir, il était entouré d’animateurs. Des artistes à la traîne. Ils n’avaient trouvé que ça pour se sentir artiste. Les pauvres. Être paumé à ce point-là. Fallait vraiment être largué.
On lui demandait d’écrire. Quoi? N’importe quoi. Fallait qu’il s’exprime. Essentiel. L’expression. Soit. Pourquoi ne pas jouer le jeu? il voulait juste sortir de là. Revoir ses potes. Qui avaient sûrement besoin de lui. Fallait jouer le jeu. Pour sortir plus vite. Oui. Il allait écrire. S’il le fallait. Alors il écrivit. Sa haine. Son dégoût. Son envie de tuer. La vieille qu’il n’avait pas butée. On lui avait dit que c’était génial. Profond. Riche. Qu’il avait du talent. Du génie. Il se permit d’être vaniteux. Pour montrer qu’il s’impliquait. Faire semblant. Fallait jouer le jeu. Il soumettait ses poèmes à la correction. Étudiant appliqué. Y avait-il des fautes? Était-ce parfait? Vraiment bien écrit? Valait mieux faire bien. Des fautes, il y en avait. La haine. Il y en avait. Ce n’était pas grave, disaient les humanistes. Les règles de grammaire étaient uniquement une question de convention. Bizarre, les animateurs. Comme les lois. Question de convention. À briser. En avant la révolution. C’était bien, ses fautes. Profond. Il ne devait pas s’en occuper. Soit!
Les animateurs étaient un peu fatigués du cerveau. Naïfs. Tant pis pour eux. Les pauvres. Être largués à ce point-là. Se vouloir artiste à ce point-là. Ils ne savaient donc pas? Que c’était fini, tout ça? Qu’il s’en foutait? L’art, c’était de la merde! Une perte de temps! Chaque animateur lui montrait ses oeuvres. Des artistes. C’était pour avoir son approbation. Il eut pitié d’eux. C’était larmoyant. De s’accrocher comme ça à des merdes. Ils se prenaient pour de vrais artistes. Lui, il eut sa révélation. Préserver les paumés. Leur cacher ce qu’ils étaient. Les protéger. Contre la société. Contre le bourgeois. Contre le riche. Contre le système. Merci pour eux. Il fallait les aider. Une bande de paumés. Des largués. Alors il les écouta. Pendant des heures. L’ennui. Mortel. Mais il apprit. Des choses et d’autres. Mauvaise habitude. Celle de trop parler. Ils en faisaient trop. De longs discours. Pour ne rien dire. Au moins il apprit. Des mots. Comment se servir du langage. Pour faire semblant. Pour ne rien dire en donnant l’impression d’en dire beaucoup.
Il apprit à faire des tags. Pour s’exprimer. Manifester sa présence physique dans la société. Leur montrer que le concret, le matériel n’était pas essentiel. Alors il taguait partout. N’importe quoi. La haine. Sa haine à lui. Son dégoût à lui. Tagué partout. Dévoilé au monde. Offert par lui. Donné à partager. Les animateurs applaudissaient. Disaient qu’il était un vrai militant. Un révolutionnaire. Comme Robin des Bois. C’était un gentil, lui. Naïf sur les bords. Lui aurait gardé le butin pour sa pomme. Sinon ce n’était pas la peine. De voler. Fallait que ce soit pour quelque chose. Robin des Bois rendaient la dignité aux pauvres. Comme lui. En écoutant des artistes abrutis. S’il leur avait dit ce qu’il pensait d’eux. Grabuge. Ils n’auraient pas pu le supporter. Ils n’étaient pas assez forts. Ils aimaient croire. En la mission. Leur grande cause. Ils avaient bonne conscience comme ça. Tant mieux pour eux. Ils étaient innocents. De bonne foi. Même en amour. Quel mot ridicule. Amour. Ça ne voulait rien dire. Baiser. De temps en temps. C’était bon pour le santé. Fallait pas exagérer. Deux animateurs étaient amoureux. Des clins d’oeil. Ridicule. Des fleurs. Du romantique. Cinéma. Restaurant. Mais ils avaient le même but que le vieux. Peut-être qu’il avait raison. De passer direct à l’acte. La méthode des animateurs était longue. Coûteuse. Deux mois pour baiser. Beaucoup de bruit pour rien. Difficile de ne pas les mépriser. La vie, ils n’en connaissaient rien. Mais il joua le jeu. Fallait faire semblant d’être comme eux. Rempli de bonnes intentions. Motivé par une mission noble. Le monde est bon. Quel gâchis. Mais c’était pratique d’être comme eux. En apparence. Pour la suite. Qui soupçonnerait un animateur bienfaisant de voler?
Enfin le jour de sortie. Il resta intègre dans son rôle. De pauvre tache qui en voulait. Qui avait tout compris. On se reverra, gueulaient les pauvres.
Les frangins l’attendaient sur le parking. Pour la fête. Les retrouvailles. On l’amena directement dans le sous-sol. Il avait réussi le test, n’avait rien dit. N’avait dénoncé personne. Il était vraiment des leurs, à présent. Maintenant il pouvait grimper dans la hiérarchie. C’était un grand jour. On allait lui faire un cadeau. Du bon. De l’exceptionnel. Mais seulement un peu. Fallait s’y habituer doucement. L’héroïne. Une petite dose. De rien du tout. Mais quel effet. C’était le produit qu’il devait vendre. À l’école. En plus léger. Fallait y retourner. Jouer au bon élève. Irréprochable. Afin de ne pas attirer l’attention sur lui. Le regard de la loi.
D’abord, il devait s’entraîner avec le shit. Une fois le réseau construit, il pourrait commencer avec la marchandise un peu plus dure. Il n’aurait jamais rien sur lui. C’était un travail à la chaîne. Sur commande.