Pia Petersen, la femme écrivain
que je préfère
LE MAGUE
Serge Scotto
Octobre 2007
Ce que je sais d’abord de Pia Petersen, c’est ce que j’ai pensé d’elle la première fois que dans un salon du livre, nous nous sommes croisés: Tiens, voilà une belle fille! J’ai ensuite remarqué ses yeux vairons, qui signent la rareté de son regard, puis son accent étranger lorsque nous avons échangé quelques paroles de convenance.
Comme elle était habillée avec élégance, j’ai cru que Pia était de ces auteures snobinardes qui font la vie parisienne... et comme je n’y comprends rien en étrangers d’au dessus d’Aix en Provence, je me suis imaginé qu’elle était Anglaise, parce que ça se fait beaucoup...
Que nenni! Pia est en fait pauvre comme Job, comme Van Gogh et comme moi, mais elle fait l’effort de s’habiller en dimanche pour aller dédicacer car elle a compris que nous vivions dans un monde d’apparence ! Elle m’a d’ailleurs gentiment conseillé depuis d’en faire autant, et c’est vrai que quand je me rase je vends aussitôt davantage de livres... Ce qui me désole mais ravit le libraire.
Pia n’est pas non plus Anglaise ni Parisienne : j’ai découvert qu’elle était native du Danemark et vivait à Marseille, à deux pas de chez moi... ce qui fait que depuis cinq ans que nous nous croisons tous les week-ends sur les routes disparates de la littérature hexagonale, il nous arrive en semaine de nous retrouver encore pour l’apéro dans quelque troquet du vieux-Port.
Pourtant, en quatrième de couverture, son éditeur précise qu’elle se partage entre Paris et Marseille, afin de faire sérieux sans doute. Car Actes Sud, qui se démène depuis Arles, n’est pas le dernier à savoir que dans le monde du livre, pour marquer bien - comme on dit chez nous - et avoir le droit d’exister un peu, il faut avoir l’air parisien quelque part.
Mais malgré les efforts conjugués de Pia et de son éditeur pour que ses livres lui rapportent un jour suffisamment pour avoir les W.C ailleurs que sur le palier, je trouve qu’ils ne s’en vend pas assez comparé aux biographies de Clara Morgane. Disons-le tous net, il faut sauver les quelques bons auteurs qui comptent dans ce pays ! Et dont fait partie la coquette Pia, qui passe un an de sa vie pour écrire un livre!
Après Le jeu de la facilité, Parfois il discutait avec Dieu et Une fenêtre au hasard, elle vient de voir publié son quatrième roman, toujours chez Actes Sud: Passer le pont. Il s’agit comme d’accoutumée d’un portrait remarquable de l’humanité, à travers le regard d’un être en perdition. Un miroir déformant comme pour nous obliger à voir autrement... C’est une obsession chez Pia Petersen, qui écrit volontiers au je pour créer l’empathie du lecteur avec des personnages pour lesquels on n’aurait peut-être pas un regard en réalité. C’était déjà le cas avec le clochard de Parfois il discutait avec Dieu ou la pauvre fille seule et bientôt à moitié folle d’Une fenêtre au hasard...
Ici, tout commence par un incident de parcours hélas bien banal, l’arrivée d’une lettre de licenciement. L’héroïne du roman a beau en retarder l’ouverture, elle devine le contenu du pli et que sa vie va basculer... Alors ce n’est que le début d’une remise en question sans précédent, et dont je ne vous dévoilerai pas davantage: tout est dans le livre!
Mais pour finir cependant, que vous dire du style de Pia Petersen? Je le trouve très original, comme souvent nos auteurs étrangers savent donner d’autres couleurs à la langue française. Une façon d’écrire qui vient sans doute d’une certaine façon d’appréhender la langue, franche et sans complexe.
Une certaine distance avec les convenaces et l’académisme, mais toujours le mot juste et la pensée exacte, finissent de faire de ce nouveau roman de Pia Petersen un petit bijou qui lui ressemble, lent et précieux comme un travail bien fait !
Voilà ! Si vous ne saviez pas quoi lire ce soir, vous ne pourrez plus le dire...