Bluff sanglant
LES INROCKUPTIBLES
Emily Barnett
Février 2010
L'addiction au poker comme symptôme de la crise financière, dans un huit clos déroutant signé Pia Petersen.
New York, la nuit. Dans un appartement près de Times Square, cinq hommes s'adonnent à leur passion: une partie de poker qui ne finira qu'avec les premières lueurs de l'aube, dans un bain de sang.
Entre-temps, Pia Petersen, romancière danoise installée à Paris (Iouri, Une fenêtre au hasard), aura ordonné une confrontation collective sous influence Tarantino, prise dans les faisceaux de trajectoires particulières. Pour commencer, celle de Romain, ancien fêtard et boursicoteur à L.A., dont l'infarctus vient ouvrir les festivités. Suivent Logan, le propriétaire d'un snack à Brooklyn, puis Hunter, ex-employé de banque à Tribeca. Porter et enfin Ryan, leur hôte, en bisbille avec une mafia locale qui va gratifier cette petite assemblée d'une visite peu amicale.
Tel l'ultime esprit joueur de cette partie, la romancière va brouiller les cartes en combinaisons où chacun pourra lire son destin et mesurer avant cela l'étendue de ses échecs. Car ce livre réunit avant tout une belle brochette: financier plumé, entrepreneur dépressif et Bartleby raté - comme autant d'entités régies par l'argent. Tous prônent l'appât du gain et la loi du marché, une machine capitaliste qui doit tourner en roue libre pourvu qu'on puisse en profiter largement. Tous vouaient un amour sans faille au dollar - jusqu'au jour où l'économie réelle s'était trouvée dominée par la spéculation, (...) l'économie virtuelle était enfin visible: une machine qui fonçait droit devant elle sans que personne ne la contrôle.
Compter les pots cassés de la crise financière: c'est l'exercice auquel s'essaie vaillamment Pia Petersen, reliant le monde des finances aux coups pendables d'une partie de poker. Les joueurs sont les produits d'une pompe à fric qui les a recrachés, dont ils ne sont plus que les rebuts: traders de pacotille, soignant par le jeu d'argent leur incurable besoin de dominer, de planer dans la bulle.
Que cette partie de cartes mortelle se situe en plein cœur de la Grande Pomme, ville symbole du capitalisme à tous crins, a de quoi pimenter encore davantage ces jeux de massacre.