Mon nom est Dieu
EXTRAIT
Lorsque Dieu lui demanda d’écrire sa biographie, elle dit non, fermement non, pas question.
Lorsque Dieu lui ordonna d’écrire sa biographie, elle lui demanda de quel droit il lui donnait des ordres.
Elle songea que s’il avait été Dieu, ça n’aurait pas été la bonne réponse, que s’il existait et qu’il voulait quelque chose, il avait sûrement le pouvoir de l’obtenir. Elle regarda l’homme en face d’elle et vit qu’il n’aimait pas être contredit. À nouveau elle dit non et elle eut la sensation et aussi la vision de son non suspendu dans l’air, visible, matériel, une vision qui défiait les lois scientifiques, le non n’était plus un simple mot, abstrait et immatériel mais se posait là, dense et massif. Elle aurait pu avancer un doigt et toucher le mot qu’elle avait imprudemment jeté là, entre eux mais elle n’esquissa pas un seul geste. Dire non à Dieu, s’il existait, ne pouvait jamais être simplement un non, un truc du langage sur lequel il était possible de revenir pour le rectifier et changer ainsi le cours des choses, lui dire non devait être dangereux, il avait le pouvoir de l’anéantir sur place s’il le désirait et c’était exactement cela que son visage traduisait, une colère destructrice et elle se dit qu’heureusement ce n’était pas Dieu.
Subitement elle avait très peur.
La dévisageant avec des yeux jetant des foudres, il avait la bouche serrée, fermée à double tour, le souffle suspendu, l’expression d’un type pas content de la réponse à laquelle il ne s’attendait pas. Elle se demanda si elle avait bien fait. Elle aurait pu accepter.
Le silence était total, pesant et lourd et incapable de faire un pas, elle resta sur place, pétrifiée, glacée d’effroi. Elle percevait la nature en mouvement, un serpent qui s’enroulait tout doucement autour d’elle, qui la serrait jusqu’à l’étouffer, elle ne pouvait plus bouger les bras, elle était piégée par une force qu’elle ne pouvait pas affronter, une force qui dépassait l’entendement, que personne ne pouvait remettre en question et elle espérait qu’elle rêvait. Dieu était en colère, son visage était épouvantable, tordu, crispé, livide. Elle cria lâche-moi. Les branches des arbres remuaient, s’approchaient d’elle comme pour la gifler, le vent soufflait plus fort en cercle, une tornade qui l’étreignit et le ciel était bleu et violet, le violet de l’orage qui grondait, la menace était tout près et au loin aussi, elle voyait l’écume des vagues, le soleil lui paraissait d’une intensité blanche prête à la calciner et pourtant elle le fixait dans les yeux sans se démentir, elle avait peur mais elle ne céderait pas. Même s’il était Dieu, elle ne céderait pas. Il ne fallait pas compter sur elle. Jamais, elle lui cria, jamais. Puis subitement ça se calma. Dieu s’était ressaisi et il la regarda sans colère et dit. Je t’ai choisie. La phrase la traversa de haut en bas, la trancha comme un couteau, le souffle coupé elle hésitait, elle se battait contre elle-même, sa lucidité la poussait à laisser tomber sa réticence, à se laisser faire, à accepter, c’était le plus simple mais elle ne s’écoutait pas, il était hors de question de céder, ni à Dieu, ni à elle-même et elle répondit d’une voix claire, articulant lentement.
Mais il ne fallait pas me choisir. Il y a des milliards de personnes sur la planète, il faut choisir l’une d’elles, choisir quelqu’un qui croit en toi.
Elle lui résista de toutes ses forces répétant non et encore non, elle n’était pas intéressée mais le vent se leva à nouveau et la serra davantage, des tourbillons s’élevaient en colonnes qui s’approchaient jusqu’à la frôler, le ciel violet vira au noir sur un fond bleu, des nuances de bleu qu’elle n’avait jamais vues et qui ressemblaient à des portes ouvertes sur l’enfer, l’orage grondait et elle sentit que les éléments lui en voulaient, qu’autour d’elle des forces se préparaient à se déchaîner et elle finit par dire d’accord, oui, OK, j’écrirai ta biographie. Le vent cessa de tourner, les branches des arbres retombèrent et les vagues se calmèrent, le ciel était bleu et il n’y avait plus d’orage en vue et la menace avait disparu.
Pourquoi moi ?
Tu es un écrivain et j’ai besoin d’un portrait. Je veux que tu écrives ma biographie. Mon enfance. Ce qui a fait de moi ce que je suis. Ma vie.
Quand elle l’avait rencontré, elle ne savait pas qu’il était Dieu. Quand elle l’avait rencontré, elle n’avait aucune idée de ce que l’avenir lui réservait.
C’est l’un des grands événements du mois à Los Angeles. La structure futuriste en acier inoxydable du Walt Disney Concert Hall scintille au soleil à en faire mal aux yeux. Devant, une longue file s’étire, des gens patientent avec leur invitation à la main.
Elle se présente au guichet destiné à la presse, décline son nom, Morgane Latour ainsi que le journal, le Los Angeles Examiner et montre son accréditation. Une hôtesse la guide jusqu’au restaurant Patina réservé exceptionnellement pour cette journée aux VIP, un buffet est dressé et une coupe de champagne ou d’autres cocktails l’attendent si elle le désire. Elle se trouve entourée d’acteurs et d’actrices de cinéma, tous reliés à Disney par contrat, des hommes d’affaires importants qui gagnent de l’argent pour la multinationale et qui veulent en gagner davantage. Des politiciens, des notables, quelques écrivains, deux plasticiens, des scénaristes et beaucoup de journalistes boivent des cocktails en attendant l’ouverture des portes.
Le restaurant, réputé pour sa cuisine française, est à l’image du Concert Hall, très sobre, décoré de bois clair sur fond de mur blanc, confortable avec un service impeccable. Morgane en fait lentement le tour, notant des noms dans son carnet afin de les mentionner dans son article. Les gens adorent ça, les potins et chaque fois qu’elle parle d’une célébrité, elle négocie des piges plus intéressantes. Près du comptoir de bar en bois massif, elle voit Jansen en conversation avec un homme politique. Sur le pan de mur à côté du comptoir, des bouteilles sont alignées dans un grand présentoir et derrière le bar, quelques étagères contenant des verres surplombent une rangée de dessertes de bar réfrigérées et encadrent un imposant écran tactile sur lequel s’enregistrent les commandes.
Morgane travaille sur un portrait de Jansen depuis quelque temps et ils ont rendez-vous dans la semaine. Des rumeurs circulent à son propos et sur le financement de son Église qui fait parler de plus en plus d’elle mais aucun journaliste ne lui a consacré un travail sérieux et personne n’a voulu en savoir plus long sur ces rumeurs. Morgane a décidé de creuser davantage, elle en a parlé à son rédac’chef mais il n’est pas chaud, il faut voir, il a dit, tu peux toujours creuser mais pas de scandale. Ce n’est pas ce qu’on fait dans notre journal. Ici, on respecte les gens, a-t-il souligné. Elle n’a pas répondu, elle s’est contentée de hocher la tête. Elle peut toujours proposer l’article ailleurs, pourquoi pas, après tout, elle n’est pas salariée. Elle ne s’approche pas de Jansen mais note son tête-à-tête avec l’homme politique dans son carnet et prend discrètement une photo avec son téléphone puis elle range son téléphone, mal à l’aise. Cette sensation qu’elle a de voler son âme est ridicule mais l’impression est forte, même dans le cas de cette pourriture de Jansen. Elle ne l’aime décidément pas. Elle songe qu’il est grand temps qu’on lui adjoigne un photographe et elle note de ne pas oublier d’en toucher deux mots au journal.
Un maître de cérémonie prend la parole et annonce qu’ils peuvent tous rejoindre l’auditorium et s’installer, que le spectacle commencera sous peu. Abandonnant leur verre sur les tables, les invités sortent du restaurant, entrent dans le hall, empruntent les ascenseurs et s’acheminent lentement vers l’auditorium où ils prennent place autour de la grande scène. La salle est somptueuse. Le décor est composé de larges panneaux de bois massif et clair. La scène, une plate-forme rehaussée, se situe au centre et le public est réparti en arc de cercle sur des rangées de sièges disposées en palier sur un plan incliné et derrière la scène, un orgue démesuré et magnifique domine la salle, encastré entre de gigantesque tuyaux en bois se dressant dans toutes les directions et illuminé par d’immenses vitres sur les côtés montant jusqu’au plafond qui permettent de voir le ciel.
Morgane suit le mouvement et trouve rapidement sa place au quatrième rang. Si elle avait eu des bouchons d’oreilles dans son sac, elle les aurait mis. La salle est bruyante, un bruit qui monte implacablement de gradin en gradin, des discussions insipides entre invités qui se mêlent aux conversations téléphoniques inutiles, des sonneries qui ne cessent pas, il y a de la musique de fond et des raclements de talons sur le parquet. C’est incroyable et aussi effroyable qu’il y ait autant de monde pour pareil événement. Il y a de la place pour plus de deux mille personnes et la salle est pleine à craquer.
Elle s’étonne toujours de la puissance de la communication et pour cet événement, l’agence de com a fait un travail vraiment remarquable, de la manipulation sans scrupule, à l’état quasiment pur. Elle est admirative. Quand elle en avait entendu parler, elle avait pensé que l’événement serait jugé ridicule mais elle avait vite déchanté, comme toujours. La bêtise humaine ne connaît vraiment plus de limites et quand son rédac’chef lui avait proposé de couvrir cette manifestation, elle avait dit non, elle avait même insisté mais il n’y avait rien à faire, c’était ça ou elle n’aurait plus de piges, le remplacement était déjà prévu, à elle de voir. S’en voulant de sa faiblesse, elle avait fini par accepter. Quand elle avait parcouru le communiqué de presse, elle en avait été estomaquée. La société Disney avait décidé de lancer un concours pour élire le nouveau Père Noël, celui qui serait universellement reconnu comme le vrai, le seul d’entre tous. Il était censé devenir un phénomène historique. Elle n’a rien contre le Père Noël, elle trouve même le concept amusant. Avec sa gueule de dieu jovial, il paraît de loin plus fréquentable que le dieu des religions qui a toujours l’air fâché dans les représentations qu’on a de lui mais de là à lancer une telle opération, c’est exagéré, on se fiche vraiment des gens.
Un coup de gong se fait entendre puis un deuxième et tous les regards s’orientent vers la scène. Un animateur de télé renommé, vêtu d’un costume sombre et d’une chemise blanche, apparaît avec un sourire très professionnel et se positionne au centre du plateau pour présenter la soirée. Ses dents blanches ressortent bien sur son bronzage. Il a les cheveux méchés. Avant de dire quoi que ce soit, il évalue la salle en pivotant sur lui-même comme pour en prendre la température puis il farfouille quelques instants dans sa poche sans pour autant en sortir un quelconque objet, faisant ainsi monter la tension. Il fait un mouvement de tête et commence sa présentation, expliquant les règles du concours avec enthousiasme puis il tend son bras et invite les candidats du grand concours du Père Noël à entrer sur scène.
Des écrans géants disposés de chaque côté de la scène permettent au public de suivre les candidats de près.
Une vingtaine d’individus barbus plus ou moins corpulents sortent des coulisses et s’alignent en file indienne les uns contre les autres, face au public. Un homme grand, d’allure scandinave, toise la salle d’un air hautain puis il affiche un sourire froid. Deux autres, de type africain, se jettent des clins d’œil et sourient au public et un homme de type oriental bouge les lèvres comme s’il se parlait à lui-même. Un seul, de type indéfini, ne sourit pas, renfrogné il évite de regarder la salle.
Ses vêtements sont beaucoup trop petits, usés jusqu’à la corde, sa barbe est hirsute, grise et pas très longue, même plutôt courte comparée à celles des autres concurrents. Il s’agit sans doute d’un SDF. Morgane prend son calepin et inscrit quelques observations.
Sur scène, l’animateur présente un par un chaque candidat. Le premier, un informaticien de Chicago originaire de Juárez au Mexique, raconte l’importance du Père Noël dans sa vie, comment il s’était attaché à cette idée dès son enfance, comment il travaille chaque mois de décembre gratuitement dans la rue pour vivre dans le mythe et perpétuer ainsi son amour pour le Père Noël. Le deuxième, plutôt obèse, explique d’une voix neutre la portée du Père Noël en tant que fondement quasi métaphysique dans son existence, tout dépend de cela, sinon il lui resterait la possibilité de se suicider et le public applaudit bruyamment pour lui montrer son entière solidarité. Un banquier barbu concourt pour afficher plus d’humanité, il explique à la salle pourquoi il est vital pour lui d’être élu le Père Noël de tous les temps, afin de démontrer une bonne fois pour toutes qu’il n’est pas l’escroc que l’on croyait mais qu’il est bon, bienveillant et préoccupé du sort de ses concitoyens et si on le soupçonne d’avoir tenu un rôle dans la crise qui secoue toujours la planète, on se trompe lourdement, la preuve, c’est qu’il est là, devant eux, avec les meilleures intentions du monde. Il promet d’être un Père Noël exemplaire et jamais personne n’aura l’occasion, rien qu’une fois, de regretter de l’avoir choisi. Vous comprenez ? Je ne suis pas responsable. Ce n’est pas ma faute. Il fait un pas en arrière pour rejoindre le rang des prétendants.
L’animateur passe ainsi de Père Noël en Père Noël jusqu’au dernier qui attend, toujours renfrogné, il lui fait signe d’approcher en disant qu’il n’y a pas de nom indiqué sur sa fiche, ou du moins pas un nom crédible et l’homme fait un pas lourd en avant. Voulez-vous nous donner votre vrai nom, demande l’animateur, mettant le micro près de la bouche de l’étrange candidat. Un infime mouvement autour du nez de l’animateur laisse supposer que l’homme empeste. L’homme dit que son nom a été donné, il a un accent indéfinissable et la voix rauque, pesante. L’animateur sourit, se tourne vers la salle et dit sur le ton de la plaisanterie qu’il n’a pas voulu donner ce nom car qui peut sérieusement porter un nom pareil ? Il étudie sa fiche, se retourne vers l’homme et avec un vrai sens du spectacle il dit que c’est incroyable, vraiment, un inédit, que jamais un homme n’a eu le courage d’assumer un tel nom, voici un homme courageux qui dit que son nom est Dieu. Silence dans la salle. L’animateur reprend. Vous pouvez l’applaudir. Le public obtempère. Il laisse les applaudissements se calmer avant de s’adresser de nouveau à l’homme.
Est-ce difficile de porter un tel nom ?
L’homme ne dit rien un très long moment, il jauge la salle, ouvre la bouche pour dire quelque chose puis il se ravise et continue de se taire. L’animateur répète sa question. L’homme hésite, paraît prendre son élan puis se rétracte quand enfin sa réponse tombe.
Mon nom est Dieu. Dieu/Allah/Yahvé...
La salle regarde l’homme qui prétend s’appeler Dieu et commence à rigoler. On entend des remarques ici et là mais l’homme ne réagit pas, ne se démonte pas, le visage grave il ignore l’animateur et regarde droit devant lui. Vous insistez vraiment, dit l’animateur en lui tapotant l’épaule. Bon, bien, si vous le dites. Vous êtes un rigolo, vous. Un téléphone sonne et l’homme cherche dans ses poches et en sort un portable, il regarde longuement l’écran puis il le range. Ce n’était pas pour lui. La salle rit plus fort en voyant son expression dépitée et l’animateur demande aux spectateurs de se calmer et pose la deuxième question. Alors, quelle est votre relation au Père Noël ? L’homme continue à jauger la salle, s’obstinant à ne pas regarder l’animateur. Morgane a la sensation qu’il s’attarde longuement sur elle puis non, il regarde devant lui et dit qu’il n’a pas de relation et c’est tout. Mais vous vous êtes inscrit comme candidat. L’homme répond qu’il ne s’est pas inscrit, des gens l’ont embarqué, il avait dit non mais ils l’ont forcé à monter dans leur camionnette. Il ne sait pas pourquoi mais comme il n’avait rien de prévu, il s’est laissé faire. La salle rigole de plus belle et Morgane a de la peine pour lui, elle se demande s’il entend les moqueries. L’animateur dit aux spectateurs que ce n’est quand même pas tous les jours qu’on rencontre un homme qui s’appelle Dieu et qui en plus concourt pour devenir le Père Noël de tous les temps et il les exhorte tous à l’applaudir.
Morgane regarde dans la direction de Jansen et le voit profondément concentré. Elle note son intérêt pour ce candidat et dessine un cercle autour du mot pourquoi ? Il y a forcément une raison. Un homme comme Jansen ne perd pas de temps avec des gens qu’il ne peut pas utiliser. Qu’est-ce qui peut l’intéresser chez un clochard?
L’animateur continue son show, il dit à l’homme que puisqu’il s’est fait enlever contre sa volonté, il pourrait déposer plainte et l’homme hoche brièvement la tête.
Pouvez-vous raconter un épisode de votre vie, de préférence en rapport avec le Père Noël ?
L’homme fronce les sourcils et dit que ce serait trop long, qu’il faut mériter son histoire et là, il n’est pas sûr que ce soit le cas, que de toute façon sa vie est ratée mais qu’il réglera ses comptes en temps voulu, voilà tout ce qu’il a à dire et qu’on le laisse tranquille et là-dessus, il recule de quelques pas et se met en rang avec les autres. Morgane n’arrive pas à distinguer ses traits, asiatiques, indiens, africains, espagnols ou latinos ou arabes ou européens, en revanche elle est sûre de sa grande taille, quoique, il est plutôt gras, d’où probablement son allure imposante. Pour son âge, elle n’en sait rien.
La cérémonie se déroule ensuite selon un plan bien défini, les candidats endossent leurs habits de Père Noël et se présentent devant un jury composé d’artistes et de personnalités éminentes. L’homme qui s’appelle Dieu refuse de mettre l’uniforme rouge et il est écarté de la scène. Il est temps de procéder aux votes et de désigner le gagnant et un brouhaha incroyable envahit la salle, chacun a son préféré et le défend face au voisin et cela continue un bon moment, jusqu’à ce que le gong se fasse entendre. Suspense, soutenu par une musique adaptée.
Le banquier est l’heureux élu.
Après les applaudissements et les sifflements, l’animateur demande comment il ressent tout cela et le nouveau Père Noël de tous les temps jure avec émotion dans la voix qu’il fera en sorte d’apporter dans chaque foyer autant de bonheur que possible et une voix dans le public s’exclame qu’encore faut-il avoir une maison et ce n’est pas donné à tout le monde, surtout pas depuis la crise, vu que les banques en ont saisi pas mal de maisons. Pendant que l’on éjecte cet importun, le banquier sourit, il brandit son trophée symbolisant un traîneau et les clés du village des Pères Noël au pôle Nord et accompagné par les flashes des photographes il descend de la scène et remonte une allée entre les rangées pour rejoindre la foule qui l’acclame et se bouscule pour le saluer. Les cameramen et les journalistes s’attroupent autour de lui pour l’interviewer.
Contrairement à la foule, Jansen s’approche du perdant pour qui personne n’a voté. Ils discutent un long moment sans faire attention au raffut et Morgane voit l’homme qui ne voulait pas devenir le Père Noël de tous les temps hocher à de multiples reprises la tête et prendre la carte que Jansen lui tend. Jansen lui serre la main et s’en va. Morgane descend de quelques rangées, s’approche de l’homme à son tour et se présente. Elle explique qu’elle s’intéresse depuis quelque temps aux personnes comme lui qui ne sont pas dévorées d’ambition, que cette manière de s’affranchir de la réussite à tout prix et de revenir à quelque chose de plus humain l’intéresse beaucoup et elle aimerait l’inclure dans son article.
Alors, votre nom, c’est bien Dieu ?
Il ne répond pas.
Il faut que je mette votre vrai nom, sinon je risque d’avoir des problèmes. Ils sont très pointilleux sur les sources et ils ne vont jamais croire ça, que votre nom est Dieu.
D’une voix profonde, il dit que son nom est Dieu, que ce n’est pas forcément la meilleure chose qui lui soit arrivée mais que c’est ainsi. Il la regarde en l’évaluant, comme s’il pouvait pénétrer jusqu’aux confins de sa personne et elle n’est pas sûre de l’apprécier, c’est même très désagréable.
Pourquoi avez-vous participé à ce concours ? Visiblement vous ne le vouliez pas.
Il dit qu’il n’est pas là par hasard mais parce qu’il voulait la voir, elle.
Elle ne sait quoi penser et fait comme s’il n’avait rien dit.
Si vous pouviez me raconter en quelques mots votre parcours et me parler de votre vie, ce que vous ambitionnez ou pas, selon, bien sûr.
Il dit d'un ton définitif qu'il lui dira tout cela la prochaine fois qu'ils se verront.
Il dit aussi qu'il y aurait trop à dire et au fond pas grand chose et sur ces mots énigmatiques, il s'en va.